Ce sont les actes et non les mots qui façonnent un Homme.

Et Desmond n'a jamais aussi bien exprimé cette idée. Petit être faiblard à la naissance, tremblant et chouinant à longueur de journée, les médecins s'accordaient à dire que sa vie ne serait pas de tout repos. Des mots lancés en l'air, comme on le croit souvent, mais avec les premiers mois, Olivia et Nathan Clifford, ses parents, ont très vite pris conscience qu'il y avait du vrai dans ces paroles. Souvent malade, constamment secoué de maux de têtes qui l'obligeait à rester cloîtré dans son lit pendant des heures, il provoquait la peur perpétuelle de ses proches qui virent progressivement en lui un gâchis, une perte de temps, et tous approuvaient l'idée qu'il aurait mieux valu s'en débarrasser plutôt que de le laisser en vie. Il était le petit poussin noir qui emboîtait le pas à cadence familiale, que l'on devait continuellement remettre sur ses jambes pour ne pas le perdre.

Dès sa première année de vie, son entourage nourrissait beaucoup de haine et de mépris à son égard, jugé et rabaissé par ces derniers et renvoyé à l'état de déchet tout juste bon à décorer le fond de la poubelle de la cuisine. Le monde semblait se liguer contre lui, cherchant inlassablement à le détruire et à le faire retourner en Terre, pressée de pouvoir laisser la place à un être plus fort, plus performant, plus charismatique. On ne voulait plus de lui, mais il ne s'en rendait pas compte. Car il y avait toujours ses parents. Eux ne pouvaient se résoudre à le détester, ni même simplement à éprouver de la pitié pour lui. Il était leur fils chéri, leur petite boule d'amour, et il le chérissait comme ils chérissaient leurs proches. Il le chouchoutait, le bordait jour après jour, le réconfortait quand les larmes lui montaient aux yeux. Ils faisaient leur possible pour que jamais la colère de leurs pairs ne l'atteignent, et qu'il puisse s'épanouir sereinement. Qu'il vive comme vivrait n'importe quel enfant de son âge. Et leur détermination à lui offrir une vie paisible et tranquille fut payante, et jamais, au grand jamais, ils ne virent disparaître son sourire radieux et innocent, apportant chaque jour ce rayon de bonheur dans leurs cœurs meurtri par la haine des autres.

Mais tout a une fin, et celle-ci survint beaucoup trop vite.

À l'aube de sa troisième année, ses parents finirent par s'apercevoir que quelque chose clochait chez lui. Il n'avait pas de problème physique visuel, et semblait même doté d'un cerveau légèrement au-dessus de la moyenne mondiale. Mais malgré cela, il n'avait encore jamais sorti le moindre son de sa petite bouche. Silencieux comme jamais, ils avaient dans un premier temps mis cela sur le compte du retard de développement physique qui pouvait tout aussi bien expliquer l'aspect faiblard qu'il démontrait dans son enfance. Petit à petit, pourtant, il fallut se rendre à l'évidence : les cordes vocales de Desmond ne grandissait pas d'un poil. Jamais un son, pas le même le bruit distordu et incompréhensible d'un « areuh » n'en parvint. Finalement, Olivia et Nathan finirent par apprendre la terrible nouvelle : leur fils était muet. Un choc qui ne manqua pas d'ébranler toute la famille Clifford quand elle en eut vent. Bientôt, les parents de Desmond et le reste des Clifford commencèrent à s'entre-déchirer moralement, cherchant à faire plier l'autre parti vers leur décision quant à l'avenir de ce petit garçon fragile et désormais considéré comme handicapé.

Il n'a pas fallu longtemps à ce dernier pour prendre conscience de ce qui se passait autour de lui. Tout partait littéralement en vrille, et chaque soir, il pouvait lire la colère de ses parents qui se montaient tous les deux contre cette famille qui ne voulait que sa mort. Petit à petit, son sourire s'effaça, et laissa place à un sourire de façade, plus platonique, plus conventionné. Sans s'en rendre compte, il prit de la distance avec le champ de bataille qui s'était créé autour de lui, et se détacha de ses deux seuls repères pour s'enfermer dans un monde où il évoluait seul, sans rien. Pas d'aide, pas de repère. Seulement lui et ses pensées. Il s'est armé de patience, et de résistance, et s'est accommodé avec ce monde nouveau qui semblait déjà prêt à le rejeter. Paria, mal-aimé et laissé pour compte, il en fallut bien peu pour le transformer en être solitaire. Personne pour le soutenir, des camarades qui le rejetaient en bloc, des proches qui se déchiraient pour savoir s'ils devaient le faire disparaître ou non, des professeurs qui se contentaient de compatir pour lui en laissant faire le temps. Quand sa septième année débuta, Desmond était un être particulièrement renfermé qui s'éloignait de tous les conflits et s'enfermait constamment derrière un sourire de façade, pour ne pas froisser ceux qui l'entouraient.

Puis vint ce jour où tout bascula.

Une sortie scolaire, tout à fait basique. Tous les élèves y étaient allé, sauf lui. Un oubli de signature tout bête. Laissé seul, il avait été reçu pendant la journée par un professeur particulier qui officiait dans son école, et qui prenait régulièrement les élèves dans son cas. C'était un homme très gentil, très proche de ses élèves, et qui prenait tout le temps nécessaire pour mettre ces derniers dans de bonnes conditions de travail. Il avait surtout et avant tout le chic pour détecter chez eux ce qui pouvait les tracasser ou les déprimer, et faisait tout ce qu'il pouvait pour les en défaire. Ce jour-là, Desmond était venu avec son habituel sourire de façade dans la salle de ce professeur, et avait immédiatement suscité l'attention de celui-ci, qui comprit très vite que quelque chose n'allait pas chez lui. Ce jour-là, il n'y eut nul cours, pas un exercice d'accomplir, mais des mots furent prononcés. Beaucoup de mots. Le professeur se transforma très vite en psychologue pour Desmond, et il chercha à lui faire avouer ce qu'il avait sur le cœur. Et lentement, minute après minute, le petit garçon se mit à raconter sa vie ; à l'aide de l'énorme tableau blanc qu'il avait à disposition ; à ce professeur, quittant son air souriant pour laisser place à une mine tout à fait déprimée.

Bientôt vint l'heure du midi, mais les deux ne quittèrent pas la pièce. Au contraire, leur discussion continua de progresser, et l'histoire laissa place aux sentiments. Argument par argument, le professeur poussa Desmond à révéler ce qu'il cachait en son for intérieur, et à faire ressortir tous ses sentiments refoulés pendant ces quatre années difficiles. Desmond finit par se surprendre à le faire, s'apercevant de l'atmosphère tout à fait détendu et tranquille qu'avait installé le professeur en lui parlant d'homme à homme. Pour la première fois depuis quatre ans, le petit garçon se sentit libre de ses pensées, libéré d'un poids qui le faisait chuter depuis tout ce temps. Le tableau devenait progressivement de plus en plus vite noir d'encre, et lui sentait son esprit se vider de plus en plus de cette matière noire qui lui obscurcissait l'esprit. Puis vint ce moment fatidique où, sous l'impulsion de la situation, il se stoppa net d'écrire, le bras toujours levé vers le tableau pendant un instant, puis effaça tout d'un seul coup et écrivit trois petits mots simples : « Je veux vivre ! » et se retourna alors vers le professeur, laissant des sanglots éclater comme jamais il n'en avait eu jusqu'à présent.

Pour la première fois depuis quatre années, ses larmes coulaient à flots.

Ce jour-là, Desmond a prit conscience de beaucoup de choses. Il a commencé à grandir, et avec l'aide du professeur qui se décida à l'aider dans son entreprise, il se mit à évoluer, à devenir quelqu'un qui saurait rendre fier son entourage et apaiserait la colère de tout un chacun. Il prit tout d'abord en assurance, et ne laissa bientôt plus de place pour l'hésitation, se convaincant de chacune de ses décisions. Rapidement, il fit fi de son handicap et s'habitua assez aisément à écrire sur un portable qu'il avait dédié exclusivement à cela. Puis il se mit très sérieusement au travail, apprenant tous ses cours du mieux qu'il le pouvait, prenant même parfois de l'avance sur les autres pour pouvoir les aider quand ils planchaient. Jour après jour, il fit preuve de beaucoup de détermination pour évoluer dans cette société qui l'avait jusqu'à présent rejeter pour son handicap, et la vie l'en récompensa à son grand plaisir.

Seulement deux ans après le grand bouleversement, Desmond s'était fait pas mal d'amis ou de potes et attirait beaucoup plus le regard des autres que certains de ses camarades. Il était désormais doté d'un caractère tout à fait mature pour son âge, et passait pour un leader auprès de son entourage scolaire, qui oublia très vite qu'il était muet. Chacun voyait désormais en lui quelqu'un de profondément gentil et tout à fait normal et avec qui l'on peut aisément sympathiser et discuter sans problème comme de bons potes, et si ce n'était pas le cas, aucun ne réfutait l'idée qu'il était dans son école le plus intelligent d'entre eux. Doté de grandes facilités pour comprendre les cours, il s'en tirait souvent avec des notes qui faisaient rêver les autres. Beaucoup venaient lui demander de l'aide pour s'améliorer ou simplement comprendre ce qui manquait comme connaissance chez eux. Personne, pour ainsi dire, n'avait peur de ce qu'il était, et plus encore, chacun d'eux était heureux de pouvoir lui parler car faisant preuve d'une grand bonté envers quiconque en voudrait de sa part. Il n'avait vraiment plus rien à voir avec le petit garçon déprimé qu'il était il y a quelques années, et le professeur qui l'avait aidé à se sortir de sa presque dépression était bien fier de lui.

Mais ce qui rendait Desmond le plus heureux, c'est l'évolution qu'il parvint à faire dans sa situation familiale. Les Clifford se rendirent en effet compte à travers les mois que le petit garçon n'était pas aussi faible qu'ils le croyaient, et qu'il semblait même près de devenir la fierté de ces derniers. Finalement, ils finirent par comprendre que leur colère était injustifié, et stoppèrent le conflit, cherchant alors le pardon de Desmond et de ses parents qui avaient pendant tout ce temps combattu pour le soutenir. Et si certains eurent tout de même du mal à accepter la chose, ce dernier les pardonnèrent tous, presque prêt à nouer enfin avec eux des liens forts et indéfectibles. Il était heureux de voir que ces derniers étaient prêts à suivre sa proposition, mais ce qui le rendait véritablement heureux, c'était ce sourire radieux qui se dessinait de nouveau sur le visage de ses parents qui en avaient désormais fini avec cette guerre absurde qu'ils avaient dû démarrer pour protéger leur bout de choux d'un destin cruel qu'on lui réservait. Alors que le début de sa seconde décennie résonnait dans le monde comme un concert de trompettistes, Desmond était sans doute l'un des enfants les plus heureux du monde.

Mais ce n'était rien par rapport à ce qui l'attendait.

Au cours de sa dixième année, il s'aperçut en écoutant de la musique que les sons qui l'entouraient étaient moins diffus et surtout que ceux qu'il entendait étaient bien moindres une fois les écouteurs dans les oreilles. De fil en aiguille, en discutant avec son médecin traitant, il a finalement pu mettre le doigt sur ce problème récurrent qui provoquait chez lui d'horribles maux de têtes qui allaient parfois même jusqu'au malaise et la perte de connaissance : ses récepteurs sonores, qui captent donc les sons ambiants, ont la particularité de recevoir deux fois plus de sons qu'une oreille habituelle, avec les mêmes capacités d'analyse et de résistance au niveau des tympans. Cela faisait que bien souvent, son cerveau devait traiter deux fois plus d'informations sonores qui s'agglutinaient alors et finissait par provoquer des douleurs parfois insupportables. Un handicap bien gênant qu'il se défit ainsi finalement grâce à l'apport d'un casque audio diffusant constamment de la musique et réduisant grâce à leurs effets anti-bruits la masse conséquente de sonorités perçue par ses oreilles. Ainsi, il s'affubla très vite d'une paire d'oreillettes bluetooth et s'en servit très vite pour se rendre encore plus populaire auprès des autres. Il s'en amusa même d'être le seul « privilégié » à pouvoir écouter même en cours de la musique.

Il ne s'est jamais aperçu, en revanche, que c'est ce qui a le plus contribué à sa passion pour la musique. Au milieu de sa onzième année, en effet, Desmond a découvert une passion invétéré pour la musique, et plus particulièrement pour la guitare électrique. Fort de cette passion, il s'est rapidement mis en tête d'en devenir un professionnel. Apprenant dès qu'il le pouvait, jouant dès qu'il s'en sentait l'envie ; c'est-à-dire tout le temps ; il put, lorsque ses quatorze ans furent proches, jouer sans trop de difficulté du piano, de la batterie, de la guitare classique et folk, mais surtout de la guitare électrique avec laquelle il joue le plus souvent. Beaucoup furent surpris de voir la progression surprenante avec ce dernier instrument, et certains furent d'accord pour dire qu'il aurait ses chances pour devenir un guitariste professionnel reconnu. Mais encore aujourd'hui, Desmond n'a qu'un niveau tout à fait banal dont les performances ne sont pas encore très impressionnantes. Au moins, le désormais grand garçon s'y exalte joyeusement et s'y sent comme un poisson dans l'eau. Et la vie semble être devenu pour lui un grand plaisir.

Pourtant, il sait bien que la vie lui réserve encore beaucoup de surprises. Très curieux, il passe son temps à découvrir de nouvelles choses et à prendre plaisir à mettre à profit chacune de ses connaissances. Olivia et Nathan espèrent bien pouvoir lui offrir le meilleur avenir possible pour qu'il continue de s'épanouir comme il l'a fait jusqu'à présent. C'est en grande partie ce qui les as motivé, un jour, à venir leur proposer d'intégrer un établissement réputé, la Pokemon Community. Très ouverte aux jeunes garçons comme lui, prête à accueillir n'importe quel type d'élèves, dans un endroit supposé parfait pour étudier dans la joie et la bonne humeur, mais avec surtout une part importante d'une chose qui jusqu'alors était relativement restreint dans son école : les Pokémon. Bien ancré dans le quotidien de chacun, l'école de Desmond n'avait cependant jamais pris la peine d'y inclure une part importante de leur cursus à l'étude de ces petites bêtes merveilleuses, prétextant que leur présence tolérée dans l'établissement et pendant le cours était déjà de trop.

Desmond est pour ainsi dire un grand passionné des Pokémon. Ils sont ceux qui l'ont empêché de tomber dans la dépression dans sa période de malheur et également ses premiers vrais amis, et grandissant, ils sont devenus un sujet d'apprentissage infini pour le petit garçon qui découvrait chaque jour un peu plus de leur part, s'émerveillant toujours à chacune de ses découvertes. Plus encore que la musique, les Pokémon sont pour lui une passion qui façonnera probablement le restant de sa longue vie, et ses parents l'ont bien compris. Ils furent bien heureux de voir que Desmond accepta avec joie de s'inscrire dans cette académie, et la petite famille se trouva excité par le jour du départ pour celle-ci qui n'était déjà plus très loin.

Bientôt, il fut temps pour lui de quitter le nid familial.

Avec lui, des souvenirs. Beaucoup de souvenirs. Une vie bien remplie, parsemé de malheur et de bonheur. Des photos, des objets aux valeurs sentimentaux profonds. Beaucoup trop de choses ont rempli cette valise qu'il se traîne derrière lui désormais. Mais il sait aussi qu'il est encore loin de l'avoir rempli, et qu'il ne reviendra pas de ce semestre de cours sans de nouveaux souvenirs. Il avait grande hâte d'y être. Dernier baiser sur la joue des parents, une petite larme de leur part, et il rejoignait le ferry qui l'embarqua pour son nouveau lieu de vie pour les mois à venir.

Une fois sur place, il s'est très vite accommodé aux lieux. Une île presque paradisiaque et pourtant très animée, très vivante, et surtout très appréciable, loin des grandes villes d'Unys par moments très lugubres ou plus souvent tristes et mornes. Mais ce n'était rien comparé à l'académie qui se trouvait un peu plus loin à l'intérieur de l'île, dominant la petite ville avec un air presque supérieur qu'elle méritait bien. Sur place, Desmond a très vite été mis dans le bain, rallié comme il s'y attendait à un dortoir masculin où il prit possession d'une toute nouvelle chambre dans laquelle il s'est désormais bien installé. Puis il a découvert la première grande particularité de cette académie : le fait qu'il devait être remis à chaque nouvel élève un Pokémon, un starter comme tous aiment les appeler, et le grand brun n'échappait clairement pas à la règle. C'est ainsi qu'au premier jour de sa nouvelle scolarité, Desmond se trouva en possession d'une Pokéball, et nouveau dresseuse d'un joyeux et mignon petit Rocabot, une espèce tout à fait nouvelle pour lui ; d'autant plus que le collectionneur lui apprit que celui-ci était ce qu'on appelle communément un chromatique. Le début d'une nouvelle ère venait de commencer pour lui, mais il ne s'attendait pas à ce que les premiers jours soient si difficiles pour lui …