Aujourd’hui est mon premier jour de travail, le premier jour de mon alternance. Cela aurait dû être il y a une semaine déjà, mais les choses ont été décidées autrement. Et avec le recul, je réalise qu’il vaut mieux que cela se passe comme ça. Vu l’état dans lequel je suis arrivée à l’hôpital la semaine passée, il est préférable que je sois reposée, du moins partiellement, pour profiter pleinement de cette expérience dans le monde du travail. Ce n’est pas avec ma dégaine de fantôme que j’aurais fait long feu. Je n’aurais pas été aussi efficace que je l’aurais voulu, et ça m’aurait mis en rogne. Finalement, j’arrive à trouver quelques avantages à cette semaine de convalescence. C’est donc souriante que je m’apprête à aborder ce stage pratique, si on peut l’appeler de cette façon.
Je me suis réveillée très tôt ce matin. 5 heures je crois. Cela m’a rappelé les entrainements du général Jackie. Même s’il est fort probable que j’en sois dispensée quelques jours, le temps que mon bras s’en remette complètement, je n’échapperais pas au réveil brutal par les hurlements de notre référente. Repenser à toutes ces petites choses me permet d’afficher un joli sourire. Cette bonne humeur, je la dois surement à Alban. La discussion que nous avons eu hier soir a d’abord beaucoup chamboulé mon esprit. Et il y avait de quoi. Mais j’ai eu l’impression de me libérer d’un poids. J’ai pu vider mon sac, complètement. Je ne comprends toujours pas le lien qui nous unie. Nous ne sommes pas des connaissances, mais en même temps j’ai l’impression que cela ne ressemble pas à une réelle amitié. Il faudrait inventer un mot rien que pour nous deux.
Bien sûr, lorsque je m’apprête à partir un peu avant 6 heures, le garçon n’est pas encore levé. J’ai fait le minium de bruit, pour ne pas le déranger. Je lui ai tout de même laissé la table du petit déjeuner prête, pour qu’il n’ait pas à la préparer. J’ai aussi laissé un petit mot, pour lui dire que je suis partie plus tôt que prévu, et que je serais de retour vers 18 heures. Après avoir fait toutes ces petites tâches, je quitte la maison avec mes affaires ainsi que mes pokemons. Il ne me fallut pas beaucoup de temps pour arriver à l’hôpital. L’académie a choisi une maison située pile à mi-chemin entre la pension où se rend Alban et l’hôpital de Lavandia, ce qui je dois l’avouer est très pratique.
Je pousse doucement les portes de l’hôpital, mon sac sur l’épaule droite. L’infirmière de garde semble surprise de me voir là. C’est vrai que j’ai presque une heure d’avance. De toute façon, je n’avais pas grand-chose à faire alors autant venir ici pour me rendre utile. La responsable soignante m’indique qu’elle ne va pas tarder à finir son service de nuit, et que de plus, Kathy n’était pas encore levée. Apparemment, elle a passé une soirée compliquée avec les patients alors elle se repose. Par réflexe, je baisse la tête. En plus de ses patients habituels, la pauvre a aussi eu à me gérer pendant 6 jours. Je n’ai pas dû être facile en plus, enfin je suppose je ne me rends pas bien compte. J’essaie de chasser ces idées noires pour retrouver mon sourire. En attendant que Kathy arrive, et comme les couloirs sont déserts et que je ne peux pas agir sans la responsable, je vais aller faire un petit tour aux archives. Je salue de la main l’infirmière puis file en direction de la salle souterraine.
Il ne me faut pas bien longtemps avant de retrouver la fameuse porte qui allait m’y conduire. J’y suis déjà allée l’an dernier, mais en pleine nuit, et pas du tout pour les mêmes raisons. De toute façon, je n’ai plus rien à voir dans ce dossier. Je sais déjà tout. Kathy ne m’aurait pas menti, ça se voyait dans son regard. Non aujourd’hui je vais y aller pour faire du tri. En général, il y a toujours du rangement à faire dans ce genre d’endroit. Je suis sûre que cet hôpital n’y fait pas exception. Effectivement, une fois en bas, j’allume la lumière et constate qu’il y a tout un carton qui n’est pas encore trié.
Je me saisis de l’un des dossiers au hasard pour le ranger avec l’année qui correspond. En le déposant, une idée me vient à l’esprit. Je vais aller chercher dans les dossiers de l’an dernier ce que sont devenus les patients que j’ai pu rencontrer. Je ne sais pas si c’est une brillante idée mais la curiosité l’emporte. Le premier dossier que je retrouve est celui de Milio Zona. Je m’en souviens maintenant c’est celui qui avait sauté à l’élastique alors qu’il a des valves artificielles dans le cœur. D’après le dossier, il a quitté l’hôpital une semaine après mon départ. Il n’y a pas remis les pieds depuis, et il n’y aucune mention de son décès. C’est une bonne chose. Sur cette lancée, je continue les dossiers pour trouver celui d’Emilie Faust. En fait elle a accouché de jumeaux ! En plus tout s’est bien passé ! C’était peut-être celle qui m’inquiétait le plus, du à mon propre vécu probablement. Même s’il est indiqué que la césarienne a été nécessaire, les enfants vont bien, et la mère aussi. Je repose le dossier pour passer au suivant. Je n’ai pas besoin de fouiller le dossier d’Eric, comme je l’ai vu la semaine dernière, je peux passer à quelqu’un d’autres. Je retrouve celui de Julia Ito, la jeune fille dans le coma. Malheureusement, les nouvelles ne seront pas que bonnes aujourd’hui. L’enfant est toujours dans le coma au sein de l’hôpital. Visiblement, la décision de mettre fin à ses jours en la débranchant a été envisagé mais la réponse de la famille n’a pas encore été obtenue. Je soupire. Parfois, ce genre de solution est la meilleure. Après je ne connais pas le dossier en détail, je ne peux pas vraiment juger. Je m’apprête à chercher les dossiers d’autres enfants que j’avais rencontrés quand une voix me fit sursauter, au point d’en lâcher le dossier.
C’est là que tu étais planquée. J’espère que tu ne cherches pas son dossier. Il n’est plus là de toute façon.
Amusée par ce quiproquo, je lui réponds avec le sourire tout en me frottant la tête d’embarras. Non pas du tout Kathy ! Au départ, je rangeais des dossiers mais au final je me suis retrouvée à lire ceux de patients dont j’ai fait la rencontre l’an dernier. Les nouvelles sont d’en l’ensemble bonnes, sauf pour un cas. Que va-t-il advenir de Julia Ito ? J’ai vu qu’une décision était en attente.
Décidemment tu sais où fouiller toi pour savoir ce que tu veux. Comme tu l’as dit, la décision est en attente. Ses parents n’approuvent pas notre décision mais il semblerait que son grand frère soit de notre côté. Rien n’est fait encore. Mais tu te doutes bien que si j’ai proposé c’est que j’étais presque sûre de moi. Les chances de cette petite de se réveiller sont presque nulles. C’est triste mais je ne veux pas la laisser branchée à ces machines indéfiniment.
La réponse de la médecin a le mérite d’être claire et honnête. Ce genre de décision n’est jamais facile à prendre, aussi bien pour les médecins que pour la famille. Parfois, il arrive que des affaires comme celle-ci se retrouvent médiatisées. C’est la pire des situations à mes yeux. Quand elle évoque le grand frère de Julia, j’ai son image qui me revient en mémoire. Il avait l’air si renfermé sur lui-même, mais également si doux avec sa sœur. Si effectivement c’est lui qui est du côté de l’hôpital, cela doit être encore plus difficile, je ne préfère même pas l’imaginer. Kathy ne me laisse d’ailleurs pas ce loisir.
Bon ce n’est pas tout mais on a du travail. Je vais me doucher, manger un morceau et on y va. Tu restes ici le temps que je fasse tout ça ?
Bien sûr, je vais continuer de ranger, c’était mon idée initiale.
Ok à toute.
Quand la chevelure violette quitte mon champ de vision, je reprends un dossier du carton pour trouver sa bonne place. J’ai du travail moi, pas le temps de rêvasser.