Hier, la rousse a reçu un drôle de mail. Pas dans le sens où il y avait quelque chose de marrant dedans. C’est même plutôt le contraire mais nous y reviendrons plus tard. Ilea, depuis son arrivée à Lansat, poste des annonces un peu partout dans les commerces et bâtiments publics pour proposer ses services. Pour gagner un peu d’expérience professionnelle mais aussi de l’argent pour vivre. Parfois c’est pour répondre à des besoins quotidiens comme le babysitting ou d’autres fois c’est plus ciblé. A plusieurs reprises elle a tenté d’effectuer des jobs qui se rapprochaient de ses ambitions futures. Mais comme la jeune femme n’a pas encore de diplômes, les employeurs n’ont pas vraiment confiance. C’est tout à fait légitime. Quand elle peut, elle actualise son CV, ajoute ses nouvelles compétences, en espérant convaincre quelqu’un.
Et c’est ce qu’elle a vraisemblablement réussi à faire. Une association lui a envoyé un mail pour la recruter à la journée. Les détails n’étaient pas très nombreux mais leur cellule de soutien psychologique manque de personnel et ils ont besoin d’aide pour la maintenir en place. Il s’agit de la première fois où on la recrute pour un travail de ce type. Ilea va enfin pouvoir exercer quelque chose qui se rapproche de ses ambitions futures. Une grande fierté pour elle mais aussi une source de stress supplémentaire. La rousse craint de ne pas être à la hauteur. Mais se remettre en question maintenant n’a aucun intérêt.
Il doit être 8 heures quand la jeune femme termine de se préparer pour sa journée. Pour faire bonne impression, elle a choisi de s’habiller de manière un peu classe. Un pantalon noir, un chemisier blanc à fleur, un blazer et des chaussures à talons. Une vraie employée de bureau type. Pour se donner un air plus détendu, Ilea coiffe ses cheveux en un chignon ébouriffé. Les quelques mèches rouges se dispersent et lui donne un look plus moderne. Son sac à main prêt, elle y ajoute les pokeballs de ses compagnons puis quitte l’appartement. L’association n’est qu’à 10 minutes donc prendre le bus n’est pas nécessaire.
Sur le chemin, elle pense aux articles de journaux qu’elle a lu récemment. Depuis l’incendie de l’entreprise palladium il y a quelques mois, l’affaire est loin d’être finie. Récemment, plusieurs articles sont parus sur une potentielle maltraitance de la part de l’entreprise envers les pokemons. Le Centre pokemon a mené son enquête et des choses inquiétantes en sont ressortis. Ilea n’est pas une enquêtrice loin de là, surtout au vu du rôle minimum qu’elle a joué pendant ce terrible événement, simplement elle essaie de se tenir au courant de ce qu’il se passe sur l’île. Tout n’est pas très clair et il n’y a aucun doute sur le fait que bientôt la vérité risque d’exploser au grand jour.
La rousse arrive donc un tout petit peu en avance sur son lieu de travail. Elle est très vite accueillie par le propriétaire de la structure. Il lui présente les lieux et ses quelques collègues du jour. Enfin, il lui indique une pièce. Il s’agit d’un bureau sobre mais qui lui servira pendant les consultations. Elles ne commenceront que dans une demi-heure, ce qui devrait laisser suffisamment de temps à Ilea pour prendre ses marques. Rapidement, elle pose son sac sur le bureau puis fait le point sur le lieu où elle va passer sa journée. Déjà il y a son bureau. Pas trop petit ni trop grand, équipé de nombreux feuilles et crayons. En somme, de quoi prendre des notes pendant ses consultations. Il y a bien sûr des chaises mais aussi de nombreuses affiches. La plupart représente des œuvres d’artiste peintre. Les couleurs choisis sont très douces et semblent représenter des paysages de l’enfance. Il y a également un canapé mais aussi un hamac. Pas de doute, elle se trouve bien dans le bureau d’un psychologue. La rousse se laisse tomber dans sa chaise pour faire le point.
Ce matin, elle va devoir parler avec des personnes ayant subies le naufrage d’un navire au port de Lansat. Comme cela a eu lieu pendant qu’elle se trouvait à Alola, la demoiselle n’avait pas eu connaissance de cet incident. Heureusement, il n’y a pas eu de victimes. C’est une première bonne nouvelle. Mais le traumatisme a été important. Suite à cela, cette cellule a été ouverte pour accueillir les personnes qui auraient besoin d’en parler ou de trouver du soutien suite à cet événement difficile. Ilea est un peu anxieuse. Plus qu’à espérer que tout se passe bien.
C’est vers 9 heures que l’on frappe pour la première fois à son nouveau bureau. Le directeur est là, accompagnée d’une jeune adolescente. Son regard, un peu intimidée par la présence de cette personne qu’elle ne connait pas, reflète toute son inquiétude. La jeune femme l’incite à entrer. La jeune fille s’assoit donc sur la chaise noire en face de son interlocutrice. La rousse réfléchit un instant avant de commencer.
Bonjour, je m’appelle Ilea. Et toi tu es ?
Je…Je m’appelle Alice.
Bonjour Alice. Comme tu dois le savoir, nous sommes là pour parler toutes les deux. Mais avant, si tu es plus à l’aise, tu peux aller t’allonger dans le hamac à côté. J’ai même des couvertures si tu veux.
Vous êtes sûr ?
Bien sûr que je le suis.
L’adolescente se releva pour s’installer dans le hamac. Une fois allongée, ses cheveux noirs aux reflets bleus foncés se dispersent sur la toile et se mêlent au couleur du tissu. La demoiselle lui donne un cousin et une couette située dans le coffre de la pièce. Alice semble petit à petit se détendre. Alors qu’Ilea s’apprêtait à s’installer à son tour, Edelyne se libère de sa pokeball et se place sur le bureau. La rousse ne comprend pas vraiment pourquoi cette apparition soudaine de la part de sa fidèle amie. Mais très vite, elle saisit l’idée. La petite boule de fourrure brune se jette de son support pour atterrir entre les bras de l’adolescente. Un peu surprise, Alice ne sait pas trop quoi faire jusqu’à ce que la femelle Evoli se mette à la câliner pour la mettre en confiance. Un sourire s’affiche sur son visage. Ses doigts se glissent dans sa fourrure. La jeune adulte sourit aussi.
Tu es prête à commencer.
Oui madame.
Alice, je ne suis pas une véritable psychologue, je suis simplement là pour t’aider au mieux. Alors appelle moi Ilea d’accord ?
D’accord Ilea.
Bien faire les yeux et raconte-moi comment cela s’est passé ce soir-là.
C’était au milieu du mois d’aout. Mes vacances à Johto étaient terminées, il était temps de revenir à Lansat. Nous sommes donc montées à bord du bateau avec ma mère pour rentrer. L’arrivée était prévue vers 22h30. Ce n’était pas la première fois que l’on prenait le bateau, alors nous ne sommes pas vraiment inquiétées. Le soir venu, quand nous arrivions enfin au port, je me dirigée vers les toilettes. J’avais besoin d’y passer, et je me disais que j’avais le temps avant d’accoster. C’est une fois à l’intérieur que je me suis rendue compte que j’aurais mieux fait de me retenir. Une grosse secousse a parcouru le bateau. Les gens se sont mis à hurler, c’était la panique totale. Plus le temps avançait et plus je sentais le bateau se baisser. Je savais qu’il allait bientôt rejoindre les profondeurs. Mais lorsque j’ai voulu quitter la pièce, j’ai été incapable d’ouvrir la porte. Quelque chose en avait bloqué l’accès. J’étais donc toute seule. Impossible de prévenir qui que ce soit. J’ai commencé à paniquer. Je ne savais pas quoi faire pour me libérer. L’eau a commencé à s’infiltrer dans les toilettes. De toutes mes forces, je me suis mise à frapper sur le hublot pour me libérer. Mais je n’y arrivais pas, et l’eau montait de plus en plus. Chaque souffle devenait une torture. L’eau était jusqu’à mon cou et j’avais à peine pu fissurer le verre. Je me voyais mourir. Lorsque j’ai pris ma dernière respiration possible, j’ai mis toute ma force dans un dernier coup de coude. Mais ça n’a pas suffi. L’eau s’infiltrait dans ma bouche, mon corps était lourd, et je n’avais plus d’air. Alors j’ai fermé les yeux, comme si je n’allais plus jamais les ouvrir.
Il y a eu un moment de silence, terriblement angoissant. Ce n’est qu’à cet instant qu’Ilea réalisa qu’elle venait s’enfoncer l’un de ses ongles dans sa chaire et qu’une goutte de sang coulait le long de sa peau. Cependant, Alice reprit.
Quand je me suis réveillée, j’étais dans un camp de fortune à côté de ma mère. On m’a expliqué qu’une attaque pokemon avait brisé la vitre et que mon corps, par phénomène d’aspiration, a été entrainé par l’eau pour chuter dans l’océan. A part un excès de liquide dans les poumons, je n’avais rien du tout.
Ilea reprit son souffle puis tenta de diriger la conversation.
Comment…comment s’est passé la suite ? Qu’as-tu fait après cet événement ?
Depuis, j’ai une peur panique d’être seule. J’ai l’impression que dès que je m’éloigne de quelqu’un, je vais tomber dans une situation critique. Et aussi, je n’arrive plus à m’immerger dans l’eau. Même si je sais nager, j’ai peur de ne plus pouvoir remonter à la surface une fois dedans. Ces angoisses sont terribles au quotidien, je n’arrive pas à les gérer.
Une petite larme coulait sur sa joue qu’Edelyne s’empressa de gommer d’un coup de patte. Alice sourit sous ce geste et continua de caresser l’Evoli. Maintenant, c’est au tour d’Ilea de parler, de trouver des solutions pour cette adolescente.
Ce que tu as vécu est terrible. Je ne pourrais jamais comprendre ce que cela fait. Pour l’instant, il faut apprendre à vivre avec cette douleur. Ce sont des événements que tu ne peux pas effacer. Les choses se sont passées ainsi et il faut les accepter. Toutefois, on peut vivre avec une histoire sans en avoir peur. Simplement, il faut apprendre à faire les choses au bon rythme. On ne peut pas tout régler d’un coup, c’est impossible. Il faut prendre son temps. Par exemple, demain, tu resteras seule dans une pièce pendant 10 minutes. Puis après demain ça sera 12, et à chaque fois tu augmenteras. Si un jour tu n’y arrives pas ce n’est pas grave, n’augmente pas la durée. Je sais que c’est difficile à entendre mais il ne faut pas vouloir aller trop vite. Sinon on prend peur et on n’y arrive pas.
Le silence tombe à nouveau. La rousse ne sait pas trop quoi dire ni ajouter, mais elle tente tout de même.
Je suis désolée je suis loin d’être une professionnelle, je ne sais pas si ce que je dis te sers beaucoup.
Si si, ça m’a fait du bien d’entendre certaines choses de ta bouche. Dis, je peux rester là un petit peu. Je me sens bien.
Bien sûr Alice, reste autant que tu le souhaites.
La bleu ferma les yeux puis s’endormit. Il faut croire que la jeune fille a pris ses marques dans le hamac. Edelyne en fit de même et s’endormit au côté de l’adolescente. Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Ce n’est que quand elle fut sûr qu’Alice était endormie qu’elle sortit son ongle de sa chair avec une mine de dégout. Elle a été tellement absorbée par cette histoire qu’elle s’en ait fait mal. Le liquide visqueux quitta doucement sa plaie. Il va falloir soigner ça avant que les deux d’à côté se réveillent.
***
La suite de la journée s’est bien déroulée. Après avoir fait un rapport détaillé sur le cas d’Alice, elle s’est occupée d’autres jeunes qui étaient dans le bateau. Leur histoire et leur point de vue sont différents mais tous ont été traumatisés d’une façon ou d’une autre. Et ça touche beaucoup Ilea. Elle aussi a encore pas mal de travail à faire sur elle-même pour ne pas se sentir autant impliquée par les histoires de ces jeunes. Sinon elle va devenir une éponge à émotion et va se détruire elle-même. Après avoir rendu ses rapports au patron des lieux, elle s’est permise de proposer au groupe de 5 jeunes de se retrouver toutes les semaines à la piscine. Même si la rousse n’est pas nageuse olympique, elle est sûre qu’elle sera capable de redonner confiance à ces enfants.
Il y environ 19 heures quand la jeune femme quitte les lieux. Ce fut une journée riche en émotion, très intense, mais très formatrice aussi. Ilea a eu un bon aperçu de ce qui l’attend à l’avenir. Le concours est dans une semaine, et cette expérience lui a redonné le courage de se dépasser et de réussir les épreuves qui l’attendent.