La clope au bout du bec, tu soupires en observant tes pokémons. Il fait nuit, tu es en bas de chez-toi, mais ton trio n’est pas décidé à rentrer. Qu’est-ce qu’ils veulent ? Bonne question, c’est terrible. Tu secoues la tête et remets correctement ton béret quadrillé de plusieurs teintes de marron sur le crâne avant de prendre leur direction. Heureux d’avoir gagné, ils avancent lentement, te guidant vers des rues de moins en moins étriquées, vers des avenues de plus larges. Tu reconnais bien vite les quartiers fréquentables qui dorment la nuit. Ici pas de place pour les troubles nocturnes, les messes-basses, les jurons, les prises à parti au coin d’une rue, au harcèlement. Non, ici, tout est réglé comme un papier millimétré, rien ne dépasse, chaque angle est parfait et chaque vie promise à une réussite sans failles.

-Putain de riches.

Tu passes devant de belles maisons aux vives couleurs, esquivant la lumière des lampadaires pour rester dans l'ombre. Les minutes passent, les clopes s’enchaînent, tu sèmes comme le petit poucet pour retrouver ta route par la suite. Tes trois pokémons sont à quelques mètres devant, mais tu ne dis rien, pour une fois, pourquoi ne pas les suivre ? C’est toujours l’inverse, à croire qu’ils sont tes larbins, mais à quand remonte la dernière fois que tu leur as fait plaisir ? Trop longtemps. Alors autant leur offrir la nuit, les troubles sur l’île amplifient, personne ne se sent réellement en sécurité, ce lopin de terre va bientôt exploser, alors autant en profiter n’est-ce pas ? Tes chaussures de cuir résonnaient sur les pavés, mais maintenant que le sol devient progressivement de l’herbe, tu te déplaces à pas feutrés. Seules vos silhouettes dans le nuit se distinguent de la végétation. Tu ne sais pas trop ce qu’ils ont l’intention de faire, mais du moment que ça leur fais plaisir, autant les suivre.

Progressivement, les maisons cèdent leurs places aux arbres, à force de marcher vous êtes arrivés à la forêt derrière le campus. Les grands arbres bruissent dans une douce mélodie rythmée par le vent. Les branches dansent, face à toi s’offre un ballet-opéra naturel. C’est sobre et discret, ça n’envahit pas la vue, mais marque les cœurs. C’est avec un petit rictus que tu avances dans la végétation sans perdre tes trois insectes. Maintenant que tu es en milieu naturel, tu as arrêté la cigarette, avec ces premières chaleurs, tu ne voudrais pas foutre le feu ici. Ce serait gênant de finir en prison pour incendie criminel. Maintenant que tu y penses, tu n’as pas tant que ça réfléchit à l’écosystème de l’île. Il serait peut-être judicieux de faire des réserves de baies pour commencer quelques cultures. Tu commences à épuiser les stocks que tu avais pris et les prix augmentent en raison des agriculteurs qui vendent moins sur l’île. Avoir ses propres cultures pourrait te sauver bien des jetons à l’avenir.

Tu souris en voyant tes pokémons s’amuser ainsi, Pyrax les porte sur son dos, ils avancent lentement, comme un phare, à scruter des baies à ton humble avis. Tu fais bien attention à la végétation pour ne pas abîmer tes vêtements. Tu retrousses tes manches, comme à ton habitude et glisse ta veste dans ton grand sac. D’un coup Napoléon, vire à droite, s’échappant de ton champ de vision et s’en suit des bruissements de feuilles irréguliers. Tu avances rapidement pour constater au détour d’un chêne qu’en réalité ton papillon s’était précipité sur un arbre à baie pour manger. Tu souffles un bon coup en avançant vers eux pour saisir une baie oran et croquer dedans. Charnue, juteuse, c’est une bonne baie, la peau n’est pas trop épaisse. C’est une bonne baie à faire macérer. Du moins, si tu n’avais pas croqué dedans. Napoléon, Bismarck et Néfertiti mangent comme des goinfres sous tes yeux. Pour éviter de te salir, tu résistes à la tentation d’une seconde morsure. Mais s’il y a un plant ici, cela veut forcément dire qu’il y en a d’autres non loin. C’est une session récolte qui semble alors s’improviser sous tes yeux.

-Bien les enfants, je suppose qu’on a de quoi récolter. Je refuse qu’on rentre les mains vides.

Cela te rappelle bien des souvenirs. Vous partiez souvent en forêt ou à ses abords pour cueillir. Vos visages éclairés, vos yeux étonnés lorsque vous découvriez un plant, le sucre qui dégouline sur les doigts et glisse le long du menton. L’insouciance de se faire attaquer par des Migalos attirés par le sucre. C’est une belle vie que tu menais avec Elizabeth. Mais tout à changé. Avec le temps, tu as fini par cueillir seul, même acheter sur les marchés. Tu en as oublié les bases, les meilleurs fruits sont ceux qu’on ramène soit même dans la macération. On ne peut pas dire que tu as oublié les fondements, mais les responsabilités grandissantes, tu n’as pas pu t’y consacrer. Mais à présent, tu as décidé de tout recommencer, regarde toi, un Reece à la botte d’un petit patron de bar. Non, tu n’aimes pas ton boss du tout, bien au contraire, sa gestion de l’établissement est infecte, il n’y a rien de plus propre dans sa propriété que la partie du sous-sol que tu loues pour tes distillations. C’est l’occasion de revoir les règles essentielles pour repérer un bon plan et de bons fruits sans avoir à croquer dedans. Finalement tu vas devoir te salir, pour retrouver le goût des vraies choses, être fier de tes maigres récoltes et relancer ta culture de baies. Le dur labeur de devoir retourner la terre toi-même, soigner tes arbres fruitiers, veiller au temps, ça va te prendre beaucoup de temps, il te faudrait bien un pokémon ou deux dédiés à cela, les former, prendre soin d’eux, qu’ils apprennent les cas particuliers, les mutations entre baies, toutes ces histoires de racines communes afin de créer de nouvelles baies à utiliser pour tes liqueurs. C’est une lourde tâche, mais tu t’en sens largement capable, tu es ici pour prendre un nouveau départ, de ce fait il reprendre toutes les bases et ça commence par ramener un sac plein de bonnes baies et trouver un terrain où cultiver.

Les bases, quelles sont-elles ? Elles procèdent en plusieurs étapes. Tu toises tes pokémons du regard. Ils comprennent bien que leur moment de plaisir à conduit à un travail sérieux. Tu te retournes et tu restes un instant sans bouger. À quel moment cette brume est arrivée dans cette foutue forêt ? Tu hausses un sourcil, il faut juste que les pokémons fassent attention et que tu vérifies bien où tu mets les pieds, car c’est dans ce genre de cas qu’on se brise une cheville. D’un geste de la tête, les investigations commencent, mais tu as l’impression qu’il y a quelqu’un d’autre avec toi, c’est glaçant comme situation, un pokémon sauvage qui vous observe sûrement ? Quoi qu’il advient Napoléon devrait pouvoir gérer le problème.

Tu arrives à un premier plant de baies, ce sont à nouveau des baies Oran, tes pokémons sont un peu plus loin et cherchent de leur côté, un plan à quelques mètres. La première règle qu’on t’avait annoncé, à ta sœur et toi, c’était de taper le sol autour, si le sol est sec, c’est que les baies manquent d’eau et donc de jus, c’est une perte de goût pour la macération. Tes doigts passent sur la terre que tu trouves bien sèche, tu grattes un peu et constates qu’elle s’effrite trop aisément, tu en ferais presque du sable. Tu soupires longuement, pas besoin de regarder les baies, ça ne donnera rien. Tu te redresses te tu as comme l’impression de sentir une caresse contre ta joue, tu te retournes frénétiquement, observant seulement de la brume. Tu passes tes doigts sur ta joue avec cette désagréable sensation d’avoir ressenti les doigts d’Elizabeth. C’est une hallucination, tu n’as pas bu depuis longtemps, c’est sûrement lié… Tu soupires et passes tes doigts sur tes yeux. Il faut vite régler cette histoire.

Napoléon a changé de plant, lui aussi applique la première règle en laissant Néfertiti vérifier le sol, mais visiblement, c’est un échec. Tu avances vers un autre plan, plus loin, pour éviter d’avoir d’autres plans à la terre sèche. Tu te penches et cette fois la terre et humide, un peu lourde en main. Tu souris, première étape passée, tu remontes tes mains pour évaluer la santé de l’arbre. Le tronc semble solide, assez fin, les branches sont multiples et feuillus, tu passes tes doigts sur les feuilles, elles ne semblent pas malades. Les conditions de santé sont donc réunies. Voilà qui pourrait constituer un bon client à la cueillette. Tu passes tes doigts sur la baie, effleurant la peau du fruit en bonne santé. Au même moment, tu sens une main saisir tes cheveux avant de disparaître dès que tu te relèves. Ton rythme cardiaque à soudainement augmenté, tu as perdu ton sourire, tes yeux paniquent, cherche qui joue avec tes nerfs. L’alcool ne te provoque jamais ce genre de réactions. Tes mains tremblent, mais pas à cause du manque, mais à cause du stress qui monte. Tes dents crissent, tu te retournes plusieurs fois, mais le calme est revenu. Tu calmes difficilement ton souffle et te retournes pour finir d’évaluer ton arbre. Mais il n’est plus là. Tu fais les grands yeux, cherches des mains, mais rien n’y fait, l’arbre n’est plus là. Tu te frottes à nouveau les yeux et rejoins tes pokémons.

-Je pense qu’on n'est pas seul. Soyez vigilants.

Tu retournes un peu plus loin et tu manques de justement trébucher, tu tombes à genoux sur une racine, tu relèves la tête, face à toi deux jambes, petite chaussures, robe ceintrée… Tu hallucines, non ce n’est pas possible, elle ne peut pas être en vie, c’est exactement la même tenue qu'Elizabeth le jour de sa mort. Tu lâches un cri et saisis ces jambes qui disparaissent dans la brume, s’effacent, comme la vie de ta sœur. Tu as en main un arbuste. Tu lâches un nouveau cri, de rage cette fois, Napoléon arrive immédiatement à toi, tu hurles à nouveau.

-Qu’est-ce que tu attends ! QU’EST-CE QUE TU ME VEUX !?

Tu es à genoux, te redressant, la tête vers le ciel, tu pousses un nouveau cri de rage, les bras tombant au sol et tu halètes, le rythme rapide, la respiration irrégulière. Tu as les yeux clos, tes pokémons ne comprennent pas ce qui t’arrive, ces hallucinations sont trop réelles pour en être, tu ne crois pas aux fantômes, aux hallucinations et tu ne connais aucun pokémon capable de lire tes pensées et te tourmenter de cette façon. Ce foutu bois avec cette foutue brume de merde ! Tu respires profondément en observant autour de toi, Napoléon est inquiet au possible, il vient frotter son nez contre le tien, Néfertiti vient se lover dans ta main, libérant quelques petites décharges comme tu apprécies venant d’elle. Bismarck s’est décidé à monter la garder contre cette menace invisible. Sous leurs regards inquiets et paniqués tu soupires, tu ne voulais pas leur faire peur, tu ne voulais pas t’effrayer toi-même pour être honnête. Tu observes à tour de rôle tes pokémons.

-Je ne voulais pas vous effrayer. Quelque chose joue avec nos nerfs, on va simplement prendre nos baies et partir, je ne veux pas m’attarder ici.

Tes insectes approuvent en silence et ils se remettent en quêtes de baies bonnes à la cueillette, observer le sol, gratter, sous-peser la terre, observer les racines, le tronc et les branches. Confirmer l’absence de nuisibles et enfin saisir les baies. Vérifier qu’elles sont intactes, la qualité de la peau et exercer de légères pressions pour vérifier la contenance et la maturité. C’était des gestes de base que tu avais pourtant presque oublié. Une fois qu’on avait vérifier tous ces paramètres alors on pouvait se saisir de fruit avec délicatesse, sans l’arracher et le placer au fond de son panier et recommencer l’opération. Dans ces bois étranges, tu ne te sens plus à l’aise, tu veux partir d’ici sans y remettre les pieds. Tu ne peux te débarrasser de cette sensation d'être observé, que quelque chose te guette tapis dans la brume.

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'CUEILLETTE' : 6