« Causalité du principe »Je fais tourner l’Ipok entre mes doigts.
Le silence pesant et l’obscurité de cette salle de classe me sont étrangement agréables. Les rideaux sont presque intégralement baissés et la lumière éteinte ; seuls les rayons tamisés du soleil sont filtrés par les stores et éclairent un tant soit peu la pièce.
Celle-ci est totalement vide. Béni soit l’affichage des plannings des salles à l’entrée, ce qui m’a permis de me caser dans l’une des rares inoccupées de toute la journée. C’est que les élèves et professeurs de la Pokémon Community ont un vie très chargée…
J’immobilise le téléphone dans ma main gauche, et de la libre, tire lentement sur la corde d’un des rideaux. Je le lève à peine afin de pouvoir observer ce qu’il se passe en contre-bas, et contemple l’effervescence du quotidien étudiant, aux côtés des Pokémon. Les terrasses du réfectoire sont bien remplies malgré la température et la présence d’une imposante bibliothèque au milieu de mon champ de vision ne m’empêche pas d’observer des élèves en plein entraînement sur le terrain derrière.
La plupart semble aller bien. Certains sont exténués par l’effort, d’autres lassés par les études ou les cours auxquels ils se rendent, mais globalement, l’ambiance est là. Les événements de Juin dernier paraissent déjà loin. En fait… Ils le sont certainement. Loin.
Pour eux, en tout cas.
Ma perception du temps n’est pas tout à fait la même. Dans mon esprit, il ne s’est écoulé que deux semaines à peine depuis ce qu’on appelle désormais la Chute de Lansat. Deux semaines qui ont d’ailleurs été bien chargées, à l’instar des plannings étudiants.
Et si tous les élèves paraissent avoir fait le deuil, ou en tout cas, se sont efforcés à passer à autre chose, je peux difficilement en faire autant.
D’un mouvement ferme, je rabats le volet. Je me détourne de la fenêtre, et après quelques pas hasardeux dans la pièce, me colle contre le mur juste à côté du tableau. Je lève ensuite mon Ipok pour que son écran soit bien visible, et commence à pianoter dessus.
Je commence à écrire le début d’un message, et change quatre fois le mot de salutation. Puis je m’accorde sur l’un d’eux, et après avoir commencé à rédiger la suite, efface tout d’un coup pour plutôt aller à l’essentiel. Quand je me rends compte du côté très direct et formel de la chose, j’efface, et repars sur le texte de base.
Finalement, j’efface le message, et lance un enregistrement vocal. On va faire simple, hein.
« -Salut Ida. Je suis de retour à l’académie. En fait, là, je suis même en salle B.03, au deuxième étage du bâtiment principal. Donc, euh, tu peux venir. ‘Fin… Si tu veux. Et peux. Je ne suis pas pressé, j’ai toute la journée. Et même la soirée s’il le faut. »Un court instant de silence passe sans que je ne trouve quoi que ce soit d’autre à ajouter, et conclus donc simplement.
« -Je t’attends. »Et je raccroche.
***
Pour patienter, j’ai placé une chaise près d’une fenêtre, et j’observe par le court interstice formé par le rideau et le rebord ce qu’il se passe à l’extérieur. Je pourrai ouvrir le store en grand et gagner en visibilité ainsi qu’en luminosité, mais j’aurai peur d’attirer l’attention.
Je n’ai pas annoncé à tout le monde que j’étais de retour, encore. Je suis arrivé très tard hier soir à l’académie, le couvre-feu était déjà bien avancé, et j’ai fait tout mon possible pour rester discret jusqu’à maintenant. Je n’ai même pas pris la peine de visiter le nouveau réfectoire, Mama Odie me capterait bien trop facilement.
Mes doigts tapotent contre la bordure du mur, et viennent machinalement gratter le sommet de mon crâne. Au fil de leur descente, ils finissent par rencontrer le petit trou dans ma chevelure lié à ma blessure à la tête, et où les poils n’ont pas encore repoussé suite à ma longue hospitalisation. Pendant un instant, je le contemple dans le reflet de la vitre, et une idée me traverse l’esprit.
Je me lève, et m’approche de mon sac, posé sur une table juste à côté. Je fouille dedans pendant un court moment, et finis par en tirer un étrange accessoire.
C’est un masque, à l’effigie de Pikachu, obtenue au Halloween d’il y a deux. Des petits composants au niveau de ses joues reproduisent des étincelles électriques… Lorsqu’un Pokémon le porte au combat, il possède une certaine chance de paralyser sa cible lors des attaques de contact. Mais avec tous mes compagnons Electrik, on ne peut pas dire que ce soit très intéressant, compte tenu de la quantité de Cage-Eclair à ma disposition.
Je porte l’accessoire au niveau de ma tête, et tire sur la corde permettant de le maintenir en place. Je fais passer celle-ci derrière mon crâne, et place le masque en décalé par rapport à mon visage. Maintenant positionné en haut à gauche, une courte vérification à l’aide de mon Ipok me permet de confirmer qu’il cache désormais parfaitement l’emplacement de ma blessure.
Un bruit capte mon attention alors que je finis d’arranger le masque. J’abaisse mon téléphone et me tourne, pour voir se dessiner la silhouette d’Idalienor sur le palier de la salle de classe. Je la fixe un instant, l’observant de bas en haut, avant de prendre la parole.
« -Salut. »D’un mouvement du menton, je l’invite à rentrer dans la pièce. Je lui tourne le dos, occupé à réarranger mes affaires dans mon sac, et une fois fini, m’appuie contre la fenêtre pour regarder l’adolescente, les mains dans les poches.
« -Alors ? Tu en penses quoi, de cette académie ? »Mon regard dévie, et vient observer l’extérieur au travers de la vitre.
« -Infrastructures neuves. Dortoirs plus grands, mieux aménagés. Salles de bain individuelles. Terrasse pour la cafétéria. Espaces permettant d’accueillir les boutiques des élèves et ouverts aux citoyens. Même la ville est plus proche, et il y a toujours une plage à proximité. » je fais tourner mon doigt en signe d’une accumulation
« Et d’autres trucs. Il y a une montagne à deux pas d’ici et on peut même se payer le luxe de visiter une épave de vaisseau spatial. » je pouffe, amusé
« Un vaisseau spatial. Vraiment. On vit dans un monde bien étrange. »Je me tourne vers Ida, et mon sourire se défait.
« -Je n’aime pas cet endroit. »Je soupire, et me décolle de la fenêtre pour marcher de manière hasardeuse dans la salle de classe, les yeux rivés sur mes chaussures.
« -J’étais bien plus à l’aise sur Lansat. Je crois que certains de mes Pokémon aussi. Mais pas tous, cela dit. » je la regarde
« Tu savais que j’avais récupéré une Ptéra, durant la guerre civile ? Palladium prenait soin d’elle dans une serre souterraine. Elle avait l’air plutôt bien traitée, mais avait vraiment envie de pouvoir prendre son envol. » je hausse les épaules
« Adala me paraît bien pour ça. Je pense qu’elle se plaira, ici. »Je me gratte ensuite la joue, un peu gêné de passer du Poussifeu au Tiboudet sans arrêt, et m’immobilise.
« -Bref. Tout ça pour te dire que… Je ne sais pas si je vais réussir à m’habituer à cet endroit. J’ai pas trop le choix, tu me diras, et sans doute que ça finira par se faire… Mais quand ? » je détourne le regard, amer
« Lansat était bien plus qu’une maison, pour mes Pokémon et moi. Et je ne pense rien t’apprendre si je te dis que sa perte a sûrement affecté beaucoup de gens. Moi le premier. Au début, je me pensais capable de passer outre, mais… Non. Je n’y arrive pas. »Mes épaules s’affaissent...
« -Je ne peux pas pardonner à tous ceux que je juge responsables. »… Et je plonge mes yeux dans les siens.
« -J’ai pour principe d’être intraitable envers ceux qui m’ont fait du mal, Ida. Et à cause de ce même principe, je me pense tout bonnement incapable de t’accorder mon pardon. » mon discours se fait moins sec
« Toutefois… Quand je prends la peine d’y réfléchir, je me dis que c’est relativement absurde. Statistiquement, j’ai plus de chance de me faire trahir par quelqu’un qui ne l’a jamais fait que par une personne ayant déjà failli. Et puis, nul n’est à l’abri d’une erreur de parcours. Même des personnes que j’estime digne de confiance aujourd’hui. » je plisse les yeux
« Alors quoi, je dois me méfier de tout le monde ? » je tire une chaise, et m’assois dessus, les mains jointes
« C’est d’un pénible. Je suis tiraillé entre la colère conjuguée à la méfiance que j’éprouve, et l’envie de pouvoir retourner à un certain état d’insouciance. »Je me passe une main dans les cheveux en voulant me redresser contre le dossier. Mais j’oublie déjà la présence d’un masque à ce niveau là, et mes doigts butent dessus, me forçant à vite abandonner ce geste.
« -Mais je crois que ce Ginji là est mort. L’insouciant. Celui qui arrivait à avoir confiance en n’importe qui et cherchait le bien partout. »A nouveau, je fixe Idalienor.
« -Si tu avais le choix Ida, que ferais-tu ? Vivre sereinement et dans la confiance d’autrui au risque de mettre cette tranquillité - la tienne et celle de tes proches - en danger, ou garder les pieds sur terre et un regard froid sur le monde pour vous préserver, toi et les tiens, des dangers qui l’habitent ? »Je hausse les épaules.
« -Des années que je me pose cette question. Et la réponse n’a fait qu’alterner entre le oui, le non, et le peut-être, sans qu’aucune ne me paraisse valide. »