- OH MON DIEU !! - Petit Dragon ! - C’est pas possible ! Les voix s'entremêlent et elle, elle ne fait que tomber.
Tomber.
Encore une fois.
C’est à croire qu’elle n’est bonne qu’à ça.
Le monde devient flou et le vide l’entraîne dans la danse. C’est d’un ridicule absolu. Complètement, entièrement ridicule. Et pas si étonnant que ça au final.
Ça a toujours été son genre après tout. Elle n’a jamais été très douée, très au fait de ses mouvements, de ses déplacements. Elle a cette tendre maladresse et ses chutes qui l’ont définies pendant de longues années. Cependant, aujourd’hui, elle en a un peu marre. Un peu marre de n’être que la gamine maladroite.
Alors oui peut-être qu’il n’y a qu’elle pour tomber dans cette crevasse à peine visible. Peut-être qu’il n’y a qu’elle pour marcher pile là où il ne fallait pas. Peut-être en effet.
Mais elle ne va pas se laisser tomber. Elle en a marre de laisser tomber. Et comme Loyd lui a apprit, elle se concentre sur son centre de gravité. Elle se concentre et domine, peu à peu sa propre chute.
Tout ça ne dure pas très longtemps mais quand elle est récupérée dans les serres du Bruyverne de Minerva, elle s’y attendait. Elle savait que ça allait arriver et tout dans sa posture et son attitude se préparait à recevoir le dragon dans son dos.
Elle a peut-être eu un peu peur oui, elle s’en est peut-être un peu voulu oui. D’être maladroite, quelqu’un sur qui on doit veiller. Mais elle est en paix avec cette idée désormais, parce que dans ce groupe tout le monde veille sur tout le monde.
Elle n’est pas qu’une exception.
Quand elles remontent la crevasse, Cherche, la wyverne, dans son dos, elle a pendant un instant, l’impression de voler. L’impression qu’elles ne font qu’un. Cherche et elle. Elles sont les deux faces d’une même pièce et les ailes déployées de la wyverne ne sont que l’extension de son propre corps.
C’est devenu naturel. Facile.
Elle ne repousse pas les bras épais de Loyd qui s’enroule autour d’elle pour une embrassade soulagée. Minerva lui tapote l’épaule, rassurée à sa manière et entre deux bras, elle lui murmure un merci.
Pas qu’elle se soit vraiment nécessaire.
Minerva ne fait que veiller sur elle comme elle veille sur Minerva.
xx
La première fois que Loyd lui parle du saut de la foi, elle éclate de rire. Un rire franc et honnête. Un rire qui exprime avec une netteté très claire qu’on ne croit pas un seul mot de ce qu’il vient de sortir de la bouche de son interlocuteur.
Et c’est plutôt pas mal que ce soit l’effet recherché, parce que c’est, très exactement, l’effet recherché par la jeune dracologue.
Pourtant, Loyd insiste.
- C’est important tu sais. Je sais que tu es venue en tant qu’archéologue, pas en tant que dracologue mais toi comme moi savons que c’est devenue une façade pour le véritable enseignement que tu suis ici. C’est pas pour rien que c’est Minerva et moi qui t’éduquons pendant l'expédition. Et elle sait qu’il a raison. Après à peine une semaine, Loyd l’a invité dans sa tente, avec Minerva, pour discuter clairement des objectifs de la jeune fille. Ils l’ont regardé sans la juger, cette archéologue un peu rigolote, avec son air de petite fille sage bien rangée. Ils l’ont écouté et ils ont senti, qu’au fond de ses tripes, c’était pas qu’une gamine.
C’est à ce moment là que Loyd a arrêté de l’appeler par son prénom et qu’elle est devenue Petit Dragon à leurs yeux.
Et lentement, Loyd la guide sur le chemin des maîtres dragons. Il lui donne les enseignements, au delà des on-dits et des rumeurs. Au delà de la cape et des tenues moulantes.
Il lui parle des dragons et des hommes. Du lien qu’ils partagent. Il parle des légendes et des mythes. Des chasses qui ont failli les anéantir, humains comme leurs partenaires dragons. Et elle sait bien que quand il la voit interagir avec son équipe, il fronce les sourcils. Parce qu’elle a une douceur qui est si éloignée de la majorité de ses pairs.
Alors elle apprend, lentement, à laisser parler le feu qui est en elle. Elle apprend à avoir confiance, complètement, à 100%, en ses pokémons. Elle sait qu’elle doit pouvoir leur confier sa vie sans douter une milliseconde. Parce qu’elle sait qu’en suivant la voie des dracologues, des maîtres dragons …
Elle devient une guerrière, une arme.
Quelqu’un de dangereux, potentiellement surveillé, comme tous les membres des maîtres dragons. Tout comme Peter. Tout comme Minerva. Tout comme Loyd.
Le saut de la foi.
Quand Loyd lui en parle la première fois, elle est appelée Petit Dragon depuis à peine trois jours et elle rigole en s’en déchirer la gorge.
Quand Loyd lui en parle, le jour de son départ, elle sourit, presque amusée.
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C’est pas facile au début, de troquer sa petite vie bien rangée pour celle, pleine d’aventure, que lui impose l’expédition. Elle ne s’en plaint pas vraiment. Elle a toujours dit qu’elle aimait l’aventure et rien ne lui a fait dire le contraire.
Pas même quand une de ses aventures a mené à la mort de son meilleur ami.
Elle réalise lentement, alors que Loyd et Minerva l’aident à ouvrir ses ailes, qu’elle a toujours voulu voler. Mais elle s’est toujours contentée, bien sagement, du rôle de la petite fille parfaite. Elle s’est concentrée sur ses cours, ses amis. Toujours souriante et rayonnante et parfaite.
Tout le temps.
Alors que c’est pas exactement ça.
Alors que c’est pas vraiment elle.
Les braises dans son ventre, la colère dans sa tête, Loyd et Minerva lui apprennent à les laisser parler, à les laisser exploser. Ils lui apprennent à s’écouter.
Dès lors, elle devient plus sûre d’elle. Elle répond avec vivacité et une pointe de sarcasme. Elle n’est plus si gentille, si indulgente. Sa main reste tendue vers les autres, mais elle sait quand elle doit la ramener vers elle.
Pour une fois dans sa vie, on lui dit de se battre pour elle-même.
C’est libérateur.
Et peut-être qu’elle en pleure, un soir, dans la tente qu’elle partage avec Minerva, parce que le poids qu’elle ne réalisait pas supporter s’est envolé.
Elle est libre. Elle a détruit les chaînes qui l’enchaînait au sol. Elle peut enfin respirer, étendre ses ailes.
Songer à s’envoler.
xx
Il fait nuit noire. La rose remue vaguement dans son lit, les yeux fixés sur le plafond sombre de sa tente. Elle hésite un petit peu avant de laisser sa voix remplir le silence dans un murmure maladroit.
- Minerva ? La réponse ne se fait pas entendre.
- Oui ? Elle hésite à nouveau.
- Quand est-ce que tu as su ?La voix de Minerva est curieuse, intriguée. La plus jeune la sent bouger et s'asseoir sur son lit d’appoint.
- Su ? Quoi donc ? Elle soupire. Elle ne sait pas exactement comme formuler en des mots les idées qui s’entremêlent dans sa cervelle. Elle ne sait pas exactement ce qu’elle attend comme réponse.
- Je sais pas vraiment. Tout j’imagine ? Les dragons, l’exploration … Minerva ne répond pas immédiatement et un blanc s’installe entre les deux jeunes femmes. Elle semble hésiter tout autant que son élève.
- Quand est-ce que j’ai su qui je suis, ce que je veux être ?La scientifique sourit. Evidemment que Minerva comprendrait.
- Oui. La rousse se lève et s’approche du lit de la plus jeune. Comme pour l’inviter, elle se redresse et ramène ses jambes vers elle, laissant suffisamment de place à son modèle de s’installer confortablement.
- Tu doutes ?Elle hausse les épaules. C’est plus profond que ça. Douter est une bonne manière d’expliquer le problème mais il manque quelque chose.
- Un petit peu. Je sais pas si j’ai pris la bonne décision en venant ici. C’est génial d’être ici, ne le prend pas autrement ! Mais … Je sais pas. J’ai l’impression d’être perdue … Il y a tellement de choses à apprendre, à faire, à comprendre … Comme on peut s’attendre de Minerva, elle ne s’attarde pas sur les détails. Elle a cette manière bien à elle de réfléchir, de répondre à ses questions. Là où Loyd s’attarde sur les détails, où il répond au moment même, avec l’impulsion du moment, Minerva rassemble les informations, pèse ses mots, choisis avec soin la marche à suivre.
- Tu regrettes être venue ici ? La rosée s’arrête un instant pour répondre à la question. Puis elle réalise que si il y a quelque chose sur lequel elle ne doute pas, c’est bien ça.
- Non. Pas exactement. J’ai simplement l’impression de ne pas … répondre à vos attentes ?Elle sent Minerva froncer les sourcils alors qu’elle pose une main sur sa cuisse.
- Tu es incroyable pourtant. Tu t’es fondue dans ce rythme de vie si différent au tien avec une facilité déconcertante. Tu as un don avec les autres, tu le réalises ? La franchise de Minerva est toujours si brutale, si sortie de nulle part. Elle se fait surprendre à chaque fois. Elle n’hésite pas avant de répondre.
- Avec les autres ? Minerva semble sourire et elle se rapproche. Un bras se glisse autour de sa taille et sans trop savoir comment, elle se retrouve dans un ferme câlin de la plus vieille.
- Tu l’as sans doute remarqué mais il y a comme une distance entre Loyd, moi et les autres. C’est souvent le cas, en tant que dracologue. Les gens nous craignent, on est vu comme des êtres un peu à part, des fanatiques et pour être franc, c’est un peu le cas.Minerva s’arrête une demi seconde, lui laissant le temps d’emmagasiner les informations. C’est pas quelque chose de nouveau. Elle a pu l’observer, à de nombreuses reprises, la distance entre les dracologues et les autres. Elle a vu la crainte dans leurs yeux face à leurs pirouettes et le lien parfois presque fusionnel entre les dragons et leurs dresseurs.
Et leurs partenaires.
- Pourtant toi, toi qui est toute aussi accro aux dragons que Loyd ou moi-même, tu t’es intégrée dans la vie de camp avec une facilité déconcertante. Les gens te parlent simplement. Ils ne te craignent pas, ils te respectent juste. Elle se retrouve sans mots.
- Je … Pourtant, Minerva ne s’arrête pas là. Elle exprime le fond de sa pensée, avec une honnêteté toujours aussi désarmante. C’est peut-être ce qui fait peur aux autres. Les dracologues sont francs, honnêtes. Ils ne se cachent pas derrière des demi-vérités, des mensonges. Ils sont droits et justes. Dans leurs compliments comme leurs critiques.
- Je réalise que c’est quelque chose de naturel pour toi. Et que cette différence que je pointe entre toi et les autres dracologues peut te faire peur, peut te faire penser que tu es différente de nous. Honnêtement, je pense pas que ce soit tant le cas que ça. Je pense que c’est surtout une question de … une question d’être toi au delà du titre qu’on te donne par rapport à ton équipe. Je pense que tu représentes une nouvelle ère pour les dracologues. Une ère où nous serions reconnus et non plus craints. Minerva pose un baiser sur le haut de son crâne.
- C’est une chance merveilleuse. La rose sourit à moitié et se plonge dans l’embrassade.
- Mais est-ce que je peux vraiment être qualifiée de dracologue actuellement ? Je ne suis qu’en formation. Je ne suis pas vraiment comme toi ou Loyd … Minerva passe sa main dans les cheveux de la plus jeune avant de la forcer à lever les yeux vers elle.
- C’est tout à fait vrai. Tu as encore beaucoup à apprendre. Pourtant, tu as ce grain en toi. Ce petit quelque chose de magique. Cette flamme, cette folie, cette tempête qui fait que tu es quelqu’un d’autre. Que tu n’es pas une gamine standard. Tu as la flamme qui sépare les dracologues du reste du monde. En ça, tu es plus dracologue que la majorité de ceux qui prétendent au titre. C’est simplement à toi de choisir si tu veux entretenir la flamme. Si tu veux la faire dévorer ta vie. Ça reste avant tout ton choix. Ses yeux semblent briller d’un éclat écarlate dans la quiétude de la nuit.
- A toi seule.