La peur le paralyse.
L'inquiète, le submerge et l'immobilise tandis que son souffle coupé se fraie un passage à travers les chemins escarpés. Les feuilles le dissimulent mieux que la nuit qui se fait désirer et Faulkner attend, respirant par à-coups et ne quittant plus des yeux la frêle silhouette de Salomé.
Il n'a plus qu'à se montrer.
Donner un signe de vie.
Et oubliée la brune de cet été, oubliés ces mots creux, oublié ce geste damné.
Juste Salomé et Faulkner.

Il se prépare, s'avance presque.
Et le silence se retrouve balayé, d'un mot, un seul, d'une phrase, une seule.
Il tressaille, plus que jamais, griffes serrées.
Ce n'est que le début, il le sait.

La Griffe Rasoir a retrouvé sa place auprès de l'attrape-rêves, comme au dernier jour de leur rencontre, comme si rien n'avait changé, si ce n'est ces fils autrefois blancs désormais carmin. Il ne peut s'empêcher d'épier son cou, fin et pâle, désormais soigné et épargné loin de ses griffes.
De son faux pas.
Mais Salomé ne veut plus danser pendant que lui en meurt d'envie.
Danse, danse, danse.
Il l'entend encore. Et elle aussi.
Lui aussi aimerait prendre la parole.
Lui aussi aimerait lui conter cette année peu banale.
Mais sa gueule est serrée, solidement, pas même un gémissement pour signaler sa présence, juste le silence de son côté pendant que les reproches l'encerclent et le menacent. D'un ton mauvais, froid, sec et calme.
C'est peut-être ça le plus effrayant ; la quiétude qui l'habite et la corrompt pendant que lui, Faulkner, triste Faulkner, se refuse à bondir et s'agiter, se refuse à sourdre de ce maudit buisson, se refuse à tout tandis que même respirer est un supplice.

Alors il s'assied, les feuilles caressant son faciès pendant que la voix de Salomé continue de le porter, le sermonner, lui conter tout ce qu'il a manqué.

Il ne peut s'imaginer la nouvelle forme de Chayana.
La jalousie est loin derrière lui tandis que la Griffe Rasoir n'a pas fait son office, lui qui souhaitait évoluer pour Salomé et par Salomé. Chayana l'a devancé, depuis longtemps sûrement.

Alors il lui semble qu'elle brille davantage ; tour à tour Salomé puis la Griffe Rasoir, chacune se balançant au rythme de l'autre, forçant Faulkner à plisser les yeux pendant qu'une bourrasque sauvage se lève, rappelant au Farfuret le lieu dans lequel il se trouve.

Il ne peut réfléchir à Miss Acacia.
Difficile d'apprécier cette oiselle incapable d'esquisser le moindre sourire, elle enfermée dans sa tristesse et ses souvenirs, elle désireuse de retrouver sa liberté et sa dresseuse d'origine. Avait-elle réussi ? Il n'en sait rien et n'ose pas demander, toujours craintif à l'idée de se montrer, toujours sur ses gardes suite aux mots de la brune de juin.

Elle continue sa route, passe à un mètre à peine de sa cachette. Et Faulkner serre les poings, griffes sorties, ne sachant plus sur quel pied danser, lui funambule hésitant, lui en perpétuel conflit entre se montrer ou se terrer. La neige fondue la ralentit mais elle ne peste pas, continue son monologue.
Mais Faulkner et Salomé sont bel et bien là.

Il ne peut visualiser Algernon étendu. Lui qui s'agite aux côtés de Salomé, lui bien vivant et intact, lui insouciant. Les mots sont durs, cruels, choisis.
Il croit la voir chanceler.
Mais elle se tient toujours droite, Algernon près d'elle, convoquant le nom de Chayana et de nouveaux sarcasmes qui tirent une grimace à Faulkner.
Oh si elle savait.
Mais elle ne saura rien.
Algernon lui-même n'est qu'à peine dans le secret.

Le vent mugit plus fort, engloutissant presque ses mots partagés pour tous. Lui écoute, lui entend, mais lui garde le silence. Pourtant, c'est maintenant ou jamais.

Il ne peut penser à Ranya.
Elle d'apparence si douce et gentille, elle aussi imprévisible que Salomé, elle qui a su dire non. Il baisse la tête, presque honteux et surtout confus, quelque peu dépité, ne sachant que faire de ces confidences qu'il n'a jamais quémandées mais qu'il se retrouve à avaler.
Assez.

Impossible de nier sa ressemblance avec Salomé et c'est peut-être cela qui le réjouit le plus.
Lui aussi est parti.
Pour la chercher ensuite mais après une longue hésitation, car fuir est mille fois plus simple que d'affronter la réalité.
Pourtant, son choix oscille toujours désormais mais il ne tient plus qu'à Faulkner de marcher sur les traces de Salomé.
Car Faulkner cherche Salomé.
Et Salomé cherche Faulkner.

Il ne peut réfléchir à Ana.
Elle simple gibier entre les griffes de Salomé, elle jouet désormais abandonné et délaissé. La chasse est finie et avec elle des éclats ont dévié. Ana en pleine trajectoire, Ana blessée, Ana oubliée. Et c'est Faulkner qui a appris de Salomé, elle fin limier, lui simple élève, et le voilà prêt à traquer et détruire.
Elle l'a devancée. Encore une fois.
Il sent son cœur se réchauffer, comme avant l'une de ces chasses épiques dont lui seul a le secret.
Eux prédateurs contre un monde entier de victimes à désosser.
Et à vider.

Elle s'éloigne. Encore. Toujours plus. La respiration de Faulkner ralentit, presque inexistante, un souffle glacial pendant que son cœur le blesse un peu plus, lui martelant la poitrine.

Il ne peut oublier Sheeana.
La brune de cet été, celle-là même qui l'a chassé et condamné à se reclure loin de Salomé, celle-là même qui lui a hurlé de s'en aller, le poussant à trouver refuge ici, à proximité du camp gitan mais trop loin pour distinguer à nouveau la douce et belle clarté aveuglante de Salomé.

Désormais, la lumière de Salomé est face à lui. Plus éblouissante que jamais tandis que l'ombre de son buisson l'abrite de ce faisceau nouveau. Elle rayonne et étincelle pendant que lui se terre dans les ténèbres, toujours incapable de se décider et de se montrer, tout juste bon à tergiverser et à écouter.

Il ne peut se représenter Mélie.
Elle figure mythique pour Salomé, elle illusion impossible à atteindre et à rencontrer, désormais simple mortelle oubliée et ignorée. Il se mord la lèvre, regrettant son absence pendant ces retrouvailles plus que fortes en émotions, il s'en doute.
Mais tous les remords du monde n'y changeront rien.

Alors il resserre sa prise sur ses griffes, tremblant presque même si le climat ne s'y prête qu'à peine.
Il n'imagine pas Salomé choisir de vivre sans lui.
Il ne s'imagine pas choisir de vivre sans elle.
Et pourtant, les voici sur deux chemins différents, chacun menant sa danse à sa manière.
Mais aucun des deux n'a encore fini de danser.

Il ne peut nommer cet innomé.
Mais il est estomaqué, surpris, plus surpris encore du ton que la rousse arbore pour cracher le tout, visiblement peu impliquée.
Lui a tout raté, se contentant de miettes de discours rapportés, vivant ces souvenirs à travers la voix de Salomé.

Elle revient.
Comme habitée par un nouvel instinct, une nouvelle vague qui l'entraîne auprès de Faulkner.
Droit sur son buisson.

Il peut se souvenir de ce Farfuret un peu fou.
Il peut se rappeler de chacun de ses gestes.
Il peut presque toucher la Griffe Rasoir.

Mais, il le sait, il ne sera plus jamais vraiment Faulkner.
Alors elle plonge ses bras dans ce nouveau buisson.

HRP :

Le silence se défait, et, avec lui, la parole de Salomé qui  s'emporte entre les buissons tiédis par l'été :

– Chayana a évolué avant toi. Pas trop jaloux, j'espère ?

La Griffe  Rasoir au bout de l'attrape-rêves est toujours là pour rappeler à la rousse ce qu'est et sera longtemps encore Faulkner. Les idées se bousculent mais Salomé les fait taire, elle impassible mais irritable.
Le vent lui broie les oreilles et semble déterminé à la ralentir mais elle avance tant bien que mal, épiant les environs à la recherche à nouveau d'un éclat de vie, d'une branche qui craque, n'importe quoi pour y voir Faulkner.

– Miss Acacia est partie et toi aussi. Elle avait ses raisons, elle.

Cela sonne comme un reproche. Le premier d'une longue série peut-être mais la rousse sent sa langue s'échauffer et la brûler sans savoir ce que ça présagera. Elle serre les poings, elle miniature face à ces amas de neige fondus, elle qui foule une route qu'elle sait être le paradis pour Faulkner.
Mais Faulkner n'est pas là tandis que Salomé est bel et bien là.
Alors les mots s'échappent, s'enfuient, s'envolent.

– T'étais où quand Algernon est mort sous mes yeux ?

Pour de faux, simple illusion, mais la seule pensée de ce souvenir fait tressaillir la rousse qui couvre instinctivement du regard l'oiseau ignorant de ce qui se trame malgré sa présence. Les ombres du souvenir encerclent Salomé, la forçant à revenir à travers ses yeux grand ouvert sur cet environnement inconnu et qui la fait sursauter à chaque nouveau bruit suspicieux.
Et, comme une pièce qui se joue devant elle, voilà les images qui lui sautent à la gueule, sans préambule, avec juste ces visions d'Halloween parsemées de gouttes rouge, ces mêmes gouttes laissées par Faulkner deux mois plus tôt. Elle n'oublie pas, ni Halloween, ni rien d'autre, et c'est ce moment que la rousse a choisi pour se rappeler.
Se souvenir.
Plonger à nouveau en la compagnie de Faulkner.

– C'est Chayana qui a débarqué. Toi, t'étais sûrement en train de te perdre à l'autre bout du monde. C'était bien, au moins ? T'as bien voyagé, bien profité ?

Le sarcasme imprègne chacune de ses phrases, et, avec lui, une froideur nouvelle qui habite Salomé. Les éclats de colère sont à portée de main, d'une simple étincelle, la voilà prête à s'embraser.

– Et quand Ranya m'a dit non ? Quand elle m'a repoussée sous prétexte que je détruis tout ? Comme toi, un peu. Tu as creusé d'autres tunnels là où tu as squatté ? D'autres élevages à menacer ?

Elle ne peut pas nier sa ressemblance avec Faulkner et c'est peut-être cela qui lui fait le plus mal.
Elle aussi est partie.
Pour revenir ensuite mais après une longue hésitation, car fuir est mille fois plus simple que d'affronter la réalité.
Pourtant, elle a fait son choix désormais, il ne tient plus qu'à Faulkner de marcher sur les traces de Salomé.
Car Salomé cherche Faulkner.
Et Faulkner cherche Salomé.
Toujours le même motif, depuis un an déjà.  Joyeux anniversaire vous deux, joyeux départ, joyeuses retrouvailles, joyeux tout et n'importe quoi.

– Paraît que j'ai failli détruire Ana. Paraît que t'as failli détruire Terry.

Elle en aurait ri si Faulkner s'était trouvé là. Ri de la pauvre et misérable Ana. Ri de ce bout de viande de Terry. Mais elle n'avait plus le cœur à ça, juste décharnée et désolée dans cette contrée inconnue, ces plaines si souvent enneigées qu'elles intimident Salomé car elle se sent une parfaite étrangère ici.
Et la chasse continue, seulement perturbée par le vent qui s'est soudain levé et par une ombre qui paraît frémir derrière un bosquet, ombre qui attire suffisamment l'attention de la rousse pour la pousser à s'avancer, qui-vive, main tendue pour écarter les feuillages épais.

– Et puis il y a eu le sms de Sheeana. Ça aussi, tu l'as manqué. Et son coup de fil, avant. Et son silence d'une journée. Et le silence de Granny pour toujours. T'as tout raté. Mais ça valait le coup, non ? Tu t'es bien amusé pendant cette année, t'as bien vécu et maintenant tu vies ta vie pendant que je vie la mienne. On pouvait pas rêver meilleur succès, toi et moi.

Mais il n'y a rien si ce n'est ses mains éraflées par les ronces dissimulées entre les feuilles. L'ombre s'est éteinte tandis que le soleil continue de décliner, emportant avec lui les paroles égarées de Salomé, elle qui parle à cœur ouvert et qui continue de se souvenir.
Elle ne sait pas à quel point elle peut être aveuglante.
Elle est là et elle brille de mille feux, toujours dans l'ignorance, celle-là même qui la porte depuis le premier jour, ignorance de naissance, ignorance de parcours, juste une Salomé paumée qui irradie.

– La suite, tu la connais presque. Mais tu l'as loupée, de peu, quelques mois, c'est con quand même parce que ça s'est joué pas loin d'ici, à Kalos. J'ai rencontré Mélie, dansé avec Mélie, échangé avec Mélie et ai choisi de vivre sans Mélie.

Elle n'imagine pas Faulkner choisir de vivre sans elle.
Elle ne s'imagine pas choisir de vivre sans lui.
Et pourtant, les voici sur deux chemins différents, chacun menant sa danse à sa manière.
Mais aucun des deux n'a encore fini de danser.

– Oh et j'ai un frère aussi. Bon, demi-frère. Tu sais ce que ça fait de s'être toujours cru fille unique, de n'avoir jamais dit « Maman » pour finalement l'entendre dans la bouche d'un autre ? crache-t-elle d'une voix calme et posée, tu t'es jamais posé cette question, toi.

Les boucles rousses du gamin lui reviennent en mémoire, à jamais ancrées dans son esprit, tandis que sa voix douce et timide se fraie un chemin à travers le dédale de ses pensées.
Difficile de condamner ce jeune garçon dont elle n'a pas même retenu le nom.
Elle chasse ces souvenirs précis pour se concentrer à nouveau sur sa traque et ses recherches, guettant le moindre son, le moindre pas.

– Enfin... Il y a eu cette rencontre un peu folle avec ce Farfuret un peu fou, déclare la demoiselle en touchant sa gorge autrefois blessée, cet idiot voulait juste ma Griffe Rasoir et a juste réussi à bousiller le seul souvenir que j'avais gardé de Granny. Alors je l'ai réparé mais ça ne sera plus jamais pareil. Plus jamais vraiment l'attrape-rêves de Granny pendant que toi...

Il y a un nouveau mouvement sur sa droite.
La rousse inspire et accélère le pas, sans chercher à être discrète, sans vouloir éteindre les battements de son cœur, sans dissimuler son souffle épuisé.
Il est là.
Elle le sent.
Alors elle plonge ses bras dans ce nouveau buisson.

– Tu ne seras plus jamais vraiment Faulkner.

Dissimulant un Farfuret.
Blanc comme neige et bleu comme l'eau.

HRP :

Elle n'a d'yeux que pour lui.
Mais il n'a d'yeux que pour elle.
Elle et sa chevelure rousse, elle et sa peau claire, elle et ses yeux brûlants.
Alors elle attrape sa patte, griffe contre griffe, tandis qu'elle sent son souffle s'emballer et le sien se calmer, comme en parfait contraste.
Et elle attend.
Et elle écoute.
Et elle regarde.

Deux mois qu'il est à ses côtés. Deux mois qu'elle l'a recueilli après son exil forcé par la furie brune. Et c'est une furie rousse qui tente de l'arracher à son étreinte, à ses mots, à sa liberté. Il n'était plus qu'ombre, le voici devenu ténèbres.
Mais c'est elle, cette autre, cette rousse, qui brille de mille feux tandis que sa propre lumière à elle, si flamboyante deux mois plus tôt, ne peut pas lutter, se contentant de s'effacer pour mieux s'éteindre.
Mais elle est toujours là.
Elle ne rate rien du spectacle.

La Griffe Rasoir lui dévore le regard.
Celle-là même qui a causé l'exil de celui qui se tient à ses côtés. Elle aussi connaît son pouvoir caché, elle aussi meurt d'envie de poser la patte dessus, mais en plein jour, ce ne serait pas bien utile.
Alors elle se contient et se souvient que ce moment ne lui appartient pas, elle simple spectatrice, elle qui épie en secret.

Elle ne connaît pas Chayana.
Elle ne sait pas ce qu'elle est, elle ne peut que tenter d'imaginer une silhouette sur ce nom qui claque à ses tympans, le long de sa plume perdue le long de son oreille, elle imagine mais se heurte à un mur, perdue face à la multitude qui s'offre à elle.
Le champ des possibles est infini, et avec lui, la forme de Chayana, quelle qu'elle soit.

Il n'y a pas de lumière pour elle.
Juste une rousse qui crache regret sur remord par-delà le vide.
Mais, à ses côtés, elle le sent tressaillir. Faiblir. Et c'est la première fois qu'il est ainsi. La première fois qu'il manque de reculer face à une banale humaine.
Son humaine.

Elle ne connaît pas Miss Acacia.
Pokemon ou humaine, elle n'aurait su le dire. Mais le nom est joli, fait écho en elle à d'anciens souvenirs à jamais voilés contre lesquels elle se heurte et bute.
Alors elle fait marche arrière, se plonge à nouveau dans cet instant et se remet à contempler le duo, tour à tour le Farfuret puis l'humaine.
Pour la première fois, elle doute d'être parfaitement assortie à lui.

À ses côtés, elle sent le corps entier du Farfuret se contracter.
Elle a envie d'ouvrir la bouche pour le calmer. De bondir hors de ce buisson pour éloigner le danger. Mais elle ne fait rien, toujours stoïque, toujours immobile. Elle écoute davantage, ces non-dits de sa vie d'antan, ces non-dits liés aux humains.
Mais elle ne lui en veut pas de cette multitude de silence désormais égorgés pour mieux se répandre à leurs pattes.

Elle ne connaît pas Algernon.
Mais à suivre le regard protecteur de celui qui hante ses pensées, celui qui se tient à ses côtés, elle discerne l'ombre d'un Picassaut tournoyant autour de l'humaine. Alors elle comprend, du moins croit pouvoir enfin associer un nom obscur à une silhouette. Mais elle ne comprend pas comment cet Algernon pourrait être mort pour l'humaine mais vivant pour eux. C'est une équation qui lui échappe.

Le vent se lève, comme à son accoutumé, et elle ne cille qu'à peine face à cette bourrasque familière. La nature restera à jamais son refuge tandis qu'elle n'est encore qu'une connaissance pour le Farfuret autrefois domestiqué. Mais il ne cille pas, la copiant, comme pendant ces deux mois.
C'est la nature qu'il tente d'apprivoiser désormais.

Elle ne connaît pas Ranya.
Le nom se bouscule, comme tous les autres, face à cette palissade infranchissable pendant que le regard de son bien-aimé est éclairé d'une lueur nouvelle.
Lui la connaît.
Lui se souvient.
Et c'est toute une vie inconnue qui s'offre à elle, une vie de domestique, une vie d'apprivoisé, une vie dissimulée.
Assez.

Impossible de nier sa ressemblance avec cette humaine et c'est peut-être cela qui l'attriste le plus.
Lui aussi est parti.
Pour la chercher ensuite mais après une longue hésitation, car fuir est mille fois plus simple que d'affronter la réalité.
Pourtant, son choix oscille toujours désormais mais il ne tient plus qu'à lui de marcher sur les traces de l'une ou de l'autre.

Elle ne connaît pas Ana.
C'est une avalanche de patronymes qui la submerge et l'ensevelit, l'étouffe presque. Elle cherche un soupçon de chaleur à ses côtés, une once de réconfort tandis que son cœur est trop pris par cette humaine, trop plein de ce passé auquel elle n'appartient pas.
Et dont elle ne fera jamais vraiment partie.

Elle voit la furie rousse s'en aller.
S'éloigner.
Son cœur se déserre quelque peu et avec lui l'espoir que cette sortie soit définitive.
Elle respire mieux tandis que le souffle de son bien-aimé s'est arrêté. Lui le retient tandis qu'elle inspire à nouveau la vie.

Elle ne connaît pas Sheeana.
Mais elle comprend, croit comprendre, au vu de la réaction du Farfuret, au vu de son corps braqué, au vu de ses yeux enflammés.
La furie brune a donc un nom.
Comme eux tous.
Il n'y a qu'elle qui écoute d'anonyme.

Il ne bouge plus.
Mais il vit toujours. Mais il hésite toujours. Elle ne peut que resserrer sa prise, ne sachant pas quoi lui dire, quoi lui souhaiter, si ce n'est le meilleur, si ce n'est de faire le bon choix.
Parce que le bon choix, c'est elle.

Elle ne connaît pas Mélie.
Et ne la connaîtra jamais.
Le nom est chantant et mélodieux et c'est là tout ce qu'il lui inspire. Un pan de passé semble les submerger à travers ces deux syllabes mais elle y reste hermétique, elle y reste étrangère.

Alors elle resserre sa prise sur ses griffes, tremblant presque même si le climat ne s'y prête qu'à peine.
Elle ne l'imagine pas choisir de vivre sans elle.
Elle ne s'imagine pas choisir de vivre sans lui.
Et pourtant, les voici sur trois chemins différents, chacun menant sa danse à sa manière.
Mais aucun des trois n'a encore fini de danser.

Elle ne connaît pas cet innomé.
Placé sous silence et déjà ignoré.
Assez de noms pour aujourd'hui.
Assez de vies pour aujourd'hui.

La furie rousse revient.
Comme habitée par un nouvel instinct, une nouvelle vague qui l'entraîne auprès d'eux deux.
Droit sur leur buisson.

Elle peut se souvenir de ce Farfuret un peu fou.
Elle peut se rappeler de chacun de ses gestes.
Elle peut presque toucher la Griffe Rasoir.

Mais, elle le sait, pour elle, il ne sera jamais vraiment Faulkner.
Alors la furie rousse plonge ses bras dans ce nouveau buisson.
Dissimulant deux Farfuret.
Blanc comme neige et bleu comme l'eau.
Sombre comme la nuit et rouge comme le feu.

HRP :