Il…

Ne…

Devait…

Rien…

Se…

Passer…

De…

Grave…

Aujourd’hui…

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On peut dire que la tempête de grêle a été un tournant dans mon alternance. Alors que jusque-là j’étais plus ou moins baladée par le leader et placée sous le regard protecteur de tous les autres rangers et médecins de l’association, désormais j’ai l’impression d’être une personne un peu différente quand leurs yeux croisent les miens.

Après être arrivé en bas de la falaise, une rapide observation m’a permis de confirmer ce que je soupçonnais déjà. Personne n’était tombé, et Ander s’en doutait. Enfin ça, c’est mon intime conviction. Quand je suis revenue dans le refuge devenue une zone d’accueil un peu après les autres, j’ai rapidement compris que ma prise de décision n’avait pas bien plu à Carla. Je pouvais sentir comme une tornade dans son regard, prisonnière de son corps par sa bonne conscience de ne pas déclencher un scandale en public. Quant à Ander, il n’en a jamais reparlé. Encore un indice qui ne fait que confirmer que d’une manière ou d’une autre, il savait que je ne trouverais aucun corps en bas de la falaise.

Cette soirée-là, je l’ai ensuite passée à discuter avec les voyageurs, particulièrement avec ce jeune dresseur que nous avions remonté un peu plus tôt. S’il était dans cette zone, c’était pour s’entrainer en vue d’affronter Gladys dans les prochains jours. Il fait partie de ces jeunes qui parcourent leur région à la conquête des badges puis de la ligue. Je comprends ses motivations, mais son cruel manque de bon sens aurait pu lui coûter la vie. La championne d’arène m’a expliqué en aparté que ce n’était pas la première fois qu’un jeune se mettait en danger pour se préparer à l’affronter. Elle m’a confié que cela était surement la chose la plus difficile dans son métier de championne, de savoir que certains étaient prêts à risquer leur vie pour simplement la vaincre.

***

Le lendemain, Ander m’a congédié. Officiellement, il m’a dit que c’était pour reposer après la journée éprouvante de la veille, d’autant plus que j’ai passé une partie de la nuit à m’occuper des quelques blessés légers et des pokemons en détresse ramenés au centre. Officieusement, je le prends un peu comme une punition. En fait, je n’arrive pas à savoir si la décision que j’ai prise était celle qu’il attendait ou non. Est-ce qu’il aurait voulu que je réalise que j’allais trop loin quand il m’a poussé à le faire ? Ou au contraire est-ce que c’était réellement ce qu’il voulait et qu’il me reproche autre chose ? J’ai un peu de mal à me fixer sur la question. Mais qu’importe. Mes choix sont ce qu’ils sont. Je sais que parfois cela en dérange, mais je suis comme ça. Téméraire.

***

Le surlendemain, j’ai alors repris mon travail normalement. Notre trinôme a continué d’exister sous cette forme et nous avons repris nos missions de manière très classique. Pas de tempête à l’horizon pour le moment. Nos journées sont ponctuées de rencontre, de captures avec nos Capsticks et de sauvetage. Un vrai métier de ranger des montagnes. J’ai fini par en apprendre plus sur Clara. Elle m’a expliqué qu’elle était désolée de ne pas avoir été plus compréhensive vis-à-vis de mes choix mais qu’un de ses proches avaient passé quelques temps à la Pokemon Community avant d’en partir et que même si elle connaissait les qualités de l’école, elle avait déjà pu constater les effets pervers d’un excès de confiance en soi provoqué par l’académie. Ma réponse a alors été la même que celle que j’ai formulé à Alban il y a environ un an et demi et qui dicte aujourd’hui ma conduite. Je suis téméraire mais pas inconsciente. Je sais désormais quel risque je peux prendre, et ce devant lesquels je dois m’avouer vaincue. De-là, on a pu repartir à 0 en quelque sorte. Nous avons appris à davantage nous connaitre. Sa profession d’origine est bien ranger. J’ai déjà eu l’occasion de la voir à l’œuvre sur ces derniers jours et elle m’a l’air très douée. J’espère que je pourrais me rapprocher de son niveau avec les entrainements.

***

Aujourd’hui, 18 décembre. Je commence à réellement m’intégrer dans la structure. Tout devient plus naturel pour moi, plus évident. Je me pose moins de questions, et je prends plus confiance vis-à-vis de mes compétences de ranger. J’ai déjà effectué quelques captures, principalement pour calmer des pokemons paniqués par les intempéries ou bien par un autre événement quelconque. Avec l’aide de Carla, j’ai tiré des leçons de ces moments, pour être plus forte en situation d’urgence, là où le stresse et les questionnements n’ont pas leur place. Le temps est un peu couvert mais rien d’alarmant. Nous poussons le parcours jusqu’aux abords du Mont Couronné. Toujours équipés, nous ne craignons pas grand-chose. Une grande partie de notre travail consiste aussi à simplement se déplacer à travers les zones à risque potentiel pour informer les populations et veiller à ce que tout aille bien.

Aujourd’hui, j’ai cru que cela serait ça notre travail.

Aux abords du Mont Couronné, nous constatons qu’il n’y a pas grand monde. D’une certaine façon, cela nous simplifie la tâche. Ander a décidé que nous irons jusqu’aux entrées des grottes et que nous rebrousserons chemin tranquillement. Après tout ce n’est pas si proche que ça de Frimapic. Il va nous falloir du temps pour rentrer alors il ne faudra pas partir trop tard, surtout que la nuit tombe vite.

Mais bizarrement, aucun de nous n’arrive à parler.

C’est comme si, inconsciemment, nous avions senti le danger arriver, de la même façon que les pokemons.

Un silence plus que pesant, suivi d’un envol massif des quelques pokemons vols résidants dans les arbres. Quelques instants plus tard, c’est un imposant bruit sourd qui se répand dans la vallée et qui semble foncer droit sur nous.

Une avalanche.

C’est très étrange, ce sentiment qui prend au corps quand on voit arriver cette monstrueuse masse de neige sur nous. On voudrait courir, fuir, espérer survire. Mais les jambes ne suivent pas. Car tout se passe trop vite. Notre cerveau comprend, mais le corps ne suit pas du tout. Bien sûr, les rangers du refuge m’ont prévenu que cela pouvait tout à fait arriver. Les conseils de base tambourinent dans ma tête. Protéger les voies respiratoires, se débarrasser du matériel lourd, tenter de se déplacer latéralement. Malheureusement, en pratique, les choses sont beaucoup plus difficiles. Mon cœur tambourine dans ma poitrine tandis que je fais tomber à mes pieds mon sac à dos. Mes mains se posent sur ma bouche et alors que je me voyais déjà entièrement ensevelie sous la neige, une silhouette féminine saute devant nous accompagnée d’un impressionnant Dimoret. Le temps que je distingue une attaque Tranche-Nuit de grande ampleur se dégager du pokemon ténèbres, se fut le blackout.

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Il…

Ne…

Devait…

Rien…

Se…

Passer…

De…

Grave…

Aujourd’hui…

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Mes yeux s’ouvrent d’un seul coup, sans pour autant y voir plus clair. Mon regard cherche la moindre issue mais le constat est sans appel. Je suis bien sous la neige. Complètement ensevelie par l’avalanche. J’arrive tout juste à me creuser un petit trou pour respirer un minimum, de quoi me permettre de me recentrer sur les consignes élémentaires. Il faut que je me calme à tout prix pour pouvoir prendre en compte tous les éléments. Je suis comprimée sous la neige, intégralement. J’ai toujours mes lunettes de ski sur les yeux, me permettant d’y voir un minimum mais je pense que j’ai perdu mon bonnet puisque je sens l’eau couler sur mes cheveux et mon cou. Une longue et lente respiration me permet de contrôler un peu mieux les battements de mon cœur. J’ai l’impression qu’il est autant comprimé par la neige que le reste de mon corps, mais au moins j’ai l’impression de retrouver un semblant de contrôle sur moi-même.

Complètement immobilisée, le calme me permet aussi de réaliser une chose. Je ne sens pas que le froid de la neige sur mon corps. Je sens aussi le vent. Sur ma cheville droite. De l’air. Cela signifie qu’en fait je ne suis pas totalement immergée. Qu’une partie de mon corps est à l’air libre.

De quoi m’indiquer de quel côté creuser.

Je rassemble mes quelques forces pour tenter de dégager la neige encore très fraiche accumulée sur mon corps. J’agite mes jambes avec force, essayant de creuser un plus grand trou. Par un drôle de jeu de contorsion, je parviens à faire sortir ma main de la neige. De là, j’ai un peu plus d’appui pour me hisser hors de la neige. Cela s’apparente à une torture mais je finis par me dégager complètement. Je retrouve l’air libre.

Un calme presque effrayant règne sur la zone.

Il n’y a personne.

Seulement de la neige, beaucoup plus que tout à l’heure. Mais surtout.

Il n’y a personne.

Pas de Carla.

Pas d’Ander.

Et encore moins de l’inconnue de tout à l’heure avec son Dimoret.

Mon cœur s’accélère à nouveau. Ils sont surement tous là, quelque part sous la neige. J’ai perdu mon sac aussi, avec tous mes pokemons dedans. Ils sont tous là, à suffoquer sous l’avalanche. Je sens mes mains trembler mais j’essaie de serrer les poings pour me calmer. Plus je panique, plus je perds du temps et je risque de laisser des gens mourir sous cette épaisse couche de neige. L’oxygène risque de rapidement leur manquer. De-là, pas besoin d’être médecin pour savoir ce qu’il va arriver.

Ils vont mourir.

Encore.

Mon regard se pose sur les premiers sons que je perçois depuis l’avalanche. Un Machopeur sort de derrière les grands sapins et observe la scène, sans pour autant s’arrêter. Par réflexe, mes mains se posent sur ma hanche. Merveilleux ! Dans l’avalanche, je n’ai pas perdu mon Capstick. Je vais pouvoir m’en servir. Sans perdre plus de temps, je déclenche une capture sur ce pokemon sauvage. Malgré mon état de stress, ce n’est pas trop difficile d’apprivoiser ce pokemon du fait qu’il n’y avait aucune hostilité en lui dès le départ. Une fois la capture terminée, le pokemon combat se dirige vers moi, attendant mes instructions.

— Merci de ton aide Machopeur. J’aurais besoin de toi. Mes amis et peut être des civils sont enfouis sous la neige après une avalanche. En premier, on doit retrouver mon sac à dos. Je vais chercher ça moi-même. En attendant, essaie de trouver des personnes dans la neige. Dans cette zone environ, il devrait y avoir 3 personnes et un Dimoret.

Le pokemon se met immédiatement au travail pendant que je commence les recherches pour retrouver mon sac. Dedans, il y a un talkie-walkie relié à une balise anti avalanche. Elle ne permet pas de lutter contre les avalanches à proprement parler mais quand elle est activée, toutes les autres balises dans la zone se mettent à bipper très fort. De quoi retrouver d’autres personnes équipées sous la neige. Même si Machopeur peut s’avérer efficace, j’ai peur que le temps joue en notre défaveur. J’essaie de garder un minimum de structure dans mes recherches mais difficiles quand mes mains tremblent de cette façon. La situation est complètement inédite pour moi. J’ai l’impression de ne plus rien maitriser. Les soins ça me connait. En équipe, j’aurais surement été plus à l’aise, capable de discerner l’utile du superficiel pour agir en conséquence. Je serais arrivée, on m’aurait dit qui aller aider pour prodiguer les premiers soins. Même sans me dire quoi faire, je sais gérer une zone de soins. L’académie me l’a montré à plusieurs reprises. Les élèves me font confiance. A chaque fois, ils placent leur confiance entre mes mains.

Alors pourquoi aujourd’hui, les choses sont différentes ?

Pourquoi seule face à l’adversité, j’ai l’impression de perdre cette confiance durement acquise ?
Heureusement, une bonne étoile semble me guider puisque dans ma phase de panique, j’arrive à distinguer un petit morceau de lanière noire sortir de la neige un peu plus basse. Je me précipite tant bien que mal dessus pour le déterrer. Ce n’est pas mon sac, mais celui de Carla je crois. Peu importe, la balise est à l’intérieur ! Je vais pouvoir déclencher les alarmes de tous les sacs ! Juste avant d’activer la fameuse balise, j’entends le Machopeur pousser de grands cris. Je tourne la tête dans sa direction et le vois sortir de la neige une jeune femme avec mes cheveux bruns complètement défais et trempés, mais toujours le sourire aux lèvres. Gladys ! C’est elle qui s’est interposée devant l’avalanche avec son Dimoret pour limiter la couche de neige sur nous ! Elle est vraiment incroyable. Le sac de Carla dans les bras, je retourne dans sa direction en criant.

— Gladys ! Je suis si contente de vous voir !

J’arrive à bout de souffle à ses côtés. Les mains sur les genoux, j’essaie de refaire le plein d’air mais j’ai vraiment du mal à calmer ma respiration haletante. La retrouver m’enlève d’un poids mais les choses sont loin d’être terminée, si bien que la panique me submerge à nouveau. Doucement, je sens une main se poser sur mon crâne, m’invitant à relever la tête. La championne d’arène me regarde, toujours le sourire aux lèvres.

— Idalienor essaie de respirer calmement. Tu as très bien agi jusqu’ici. Tu as eu les bons réflexes pour t’en sortir et entamer une zone de recherche je te félicite. Maintenant nous sommes deux. Je vais t’aider et on va réussir à sortir Carla et Ander de là d’accord ?

Je hoche la tête face à ces mots même si je sens les doigts de Gladys légèrement trembler. Elle aussi a peu c’est normal. Mais nous devons garder la tête froide pour les sortir de là. Sans attendre plus, j’active les alarmes, qui émettent toute un bruit légèrement différent. En tout, on en distingue 4. Une pour Ander, une autre pour son sac, une pour Carla et une pour mon sac. Gladys avait conservé le sien dans la chute, lui permettant de repérer son Dimoret qui n’était pas trop loin et heureusement sain et sauf. Avec l’aide du Machopeur, conscient de la signification de ces sons, nous entamons de déblayer les zones pour les retrouver. Maintenant que nous avons une idée plus précise où chercher, les choses tournent enfin en notre faveur. La championne appelle son Blizzaroi pour qu’il nous aide aussi à tout déblayer.

Je tombe en premier sur mon propre sac à dos. D’un coup d’œil rapide, je vérifie que toutes mes pokeballs sont là, qu’aucun de mes amis n’est encore coincé sous la neige. Heureusement non, tout le monde est là. Je décide de ne faire appel à aucun d’entre eux pour l’instant, ne me sentant pas de les appeler sur un terrain comme celui-ci. Le Machopeur déterre également le sac d’Ander et semble avoir repéré quelqu’un. Avec Glady, nous accourons pour l’aider à sortir de la neige la pauvre Carla. Elle est inconsciente mais respire. Un autre poids semble s’enlever de mes épaules. Mais il reste toujours Ander. Tandis que le pokemon de soutien attrape la jeune femme dans ses bras, c’est au tour du Blizaroi de la championne de se manifester, sortant de la neige le corps d’Ander. Rapidement, je vois du sang couler de son cou jusque sur la neige blanche, la tâchant d’un rouge écarlate. Je sors dans sa direction, le cœur battant la chamade. J’identifie très vite d’où vient ce sang. Un hématome à la tête. Visiblement pas très profond mais bien réel. Il respire aussi mais faiblement. Gladys devance ma demande et m’indique une grotte pas très loin où nous pourrons installer tout le monde. La nuit commence à tomber et impossible de les ramener dans cet état.

Avec l’aide de tous les pokemons présents, nous arrivons à monter un campement improvisé dans cette grotte. Je fais appel à Zeno pour qu’il puisse créer un feu de camp suffisamment important pour réchauffer nos corps gelés mais aussi nos vêtements complètements trempés. Il n’y a pas vraiment de mot entre Gladys et moi à ce moment-là. Chacune s’occupe d’une chose, sans se marcher sur les pieds, consciente de nos propres qualités et points forts. La championne organise la zone et envoie ses pokemons en repérage sur le reste de la zone, vérifiant qu’il n’y a pas d’autres personnes dans les parages. Normalement, cela ne devrait pas être le cas puisqu’aucune balise supplémentaire au nôtre s’est déclenchée. Mais juste au cas où, ce tour n’est pas de trop. Gladys s’occupe également de retirer les vêtements les plus trempés des deux inconscients pour essayer de les sécher. De mon côté, je m’occupe de nettoyer la plaie à la tête de mon maitre de stage. L’avalanche a dû le projeter contre un rocher. Je pense qu’il aura quand même besoin de quelques points de suture. Je ne peux pas les faire ici dans ces conditions mais les soins plus les straps et le pansement devraient suffire pour éviter l’infection. Il ne reste plus qu’à attendre que les deux rangers se réveillent.

Adossée contre la grotte, les jambes repliées sur moi-même, je contemple le crépitement des flammes, comme si j’étais perdue. Je ressers mes bras contre mes jambes, à la recherche d’une autre source de chaleur. Je n’ai plus que mon pantalon et ma première protection contre le froid, tout le reste étant trop mouillé pour le garder sur soi sans danger. Zeno essaie de me réchauffer mais ça n’enlève pas l’inquiétude qui pèse sur mes épaules à mesure que la nuit tombe. Gladys finit par briser le silence.

— Tu te dis surement qu’aujourd’hui, il n’aurait jamais rien du se passer de ce genre je me trompe ?

Je relève les yeux vers elle, étonnée de sa réponse. C’est effectivement la première chose à laquelle j’ai pensé à mon réveil après l’avalanche. Aujourd’hui, la météo n’avait rien prévu du tout. Pas d’événement de ce genre. Et pourtant…

— En montagne, on ne peut jamais prévoir à l’avance ce qu’il va se passer. Les avalanches représentent une sorte d’épée de Damoclès sur la tête. Elles peuvent arriver à tout moment, par tous les temps, sans jamais que l’on n’en soit averti. Malheureusement tu en as fait les frais, avec Carla et Ander.

— Pourquoi nous n’avons encore aucune nouvelle du refuge ? Et comment avez-vous su que nous étions là ?

— L’avalanche a été très puissante et a touché une partie de la zone. Même si vous étiez vraisemblablement les seules dans la zone, à d’autres endroits emportés par l’avalanche il devait y avoir du monde. Actuellement, il est probable que tout le monde s’agite pour sauver les civils, parce qu’ils ont la priorité sur nous, expérimentés dans le domaine. Quant à moi, j’ai eu un drôle de pressentiment, c’est pour ça que j’ai commencé à me déplacer dans la région. Et j’ai bien fait. A croire qu’on développe un sixième sens à force d’être ici.

Alors Gladys avait senti l’avalanche arriver ? C’est vrai qu’elle a toujours vécu ici. Peut-être que la montagne est un peu comme une personne après tout. Moi j’arrive facilement à deviner l’état des gens rien qu’en les regardant. C’est peut-être pareil pour la montagne. On peut anticiper certains événements à force d’en être proche ?

— Sais-tu pourquoi Ander a été aussi sévère avec toi jusque-là ?

— Probablement parce qu’il connait les dangers de la montagne mieux que personne et qu’il ne voulait pas qu’il m’arrive quelque chose ?

— Bien sûr, cela fait parti des raisons. Mais ce n’est pas la seule. Il y a une petite dizaine d’années, un autre stagiaire comme toi est venu découvrir le métier de Ranger en montagne. Mais un jour, il y a eu une avalanche de ce genre pendant qu’ils étaient en mission. Ce jeune, Nano il s’appelait, n’était pas aussi bien formé que toi à son arrivée. Il avait beaucoup moins d’expérience de terrain et était là depuis très peu de temps.

Je pense avoir deviné la suite, mais je préfère qu’elle le dise.

— Ander l’a retrouvé mort sous la neige après plusieurs heures de recherche. A l’époque, le matériel n’était pas aussi performant ni fiable. Nous sommes arrivés trop tard. Il a mis beaucoup de temps à se remettre de cet accident qu’il a vu comme une erreur en temps que maitre de stage, alors que ce n’était en rien sa faute. J’ai finalement réussi à le convaincre de reprendre un stagiaire, toi, toutes ces années après le drame. Tu étais plus âgée, avec plus d’expériences, et les temps sont différents de l’époque.

Les choses deviennent un peu plus claires. Le comportement de mon maitre de stage et des autres rangers aussi. Indirectement, je devais leur rappeler ce jeune homme mort des années plus tôt. Sa colère après l’incident de la falaise prend aussi du sens.

— Normalement, face à une avalanche de ce type, je sais qu’Ander aurait réagi au quart de tour pour vous protéger toi et Carla. Mais la situation était tellement similaire à l’accident d’il y a 10 ans qu’il a été paralysé par ses souvenirs. Heureusement aujourd’hui tout le monde va bien. Heureusement…

Mes yeux tristes se reposent désormais sur le crépitement des flammes puis sur mon moniteur de stage, toujours endormi. Cela doit être terrible de voir son élève mourir comme ça. Et devoir me supporter après un tel événement devait être encore pire. Je n’ose pas imaginer ce qu’il devait ressentir à chaque fois qu’il me voyait. La tête contre mes jambes, je tente de réfléchir, bercée par les derniers mots de la championne.

— Ce que tu dois retenir Idalienor d’aujourd’hui, c’est que jamais tu ne pourras avoir la main sur tout. Qu’il y aura toujours quelque chose ou quelqu’un pour te surprendre. Alors, face à ces situations imprévues, il faudra toujours garder la tête froide et revenir au base, comme tu l’as fait. Ce n’est que comme ça que tu deviendras un médecin-ranger d’exception, quelqu’un sur qui les autres pourront reposer tout leur espoir, sans avoir peur pour toi. Parce que c’est ce que tu cherches n’est-ce pas ?

Les derniers mots parviennent tout juste à mes oreilles que le sommeil m’emporte, exténuée par tout ce que je venais de vivre.

***

Le lendemain très tôt, toute une équipe du refuge est venue nous chercher. Carla a rapidement repris conscience, très légèrement blessée, tandis qu’Ander a été amené à l’hôpital le plus proche. Gladys et moi sommes revenues au refuge. Elle s’est empressée de donner des nouvelles à l’académie sur mon état, par conscience professionnelle je présume. Je n’ai strictement rien, à part de nouvelles craintes pour mon métier future. Des craintes réelles mais pas insurmontables. L’expérience me l’a montré. Je suis capable de gérer. Mais les choses ne sont pas encore naturelles, immédiates.

Il me faudra d’autres expéditions comme celle-ci pour que les réflexes de médecins-rangers s’encrent définitivement dans mon tête.