Ilea avait clairement pris ses marques sur ce bateau. Lui qui lui paraissait être un immense navire sans fin à son arrivée, voilà qu’elle le connait comme sa poche à force de tourner tourner et tourner à l’intérieur. Car oui, son boulot d’éducatrice ne s’était pas arrêté au début des vacances d’été. En vérité elle travaille non-stop toute l’année. Mais l’académie lui a quand même aménagé un emploi du temps plus souple pour qu’elle aussi profite de ses vacances sur ce lieu si unique, une opportunité qui ne se représenta peut-être pas à la jeune femme. Pour autant, la rousse ne sentait pas spécialement le besoin de s’arrêter. Son travail, c’est toute son âme, et l’exercer ne lui parait pas être une corvée. Elle a simplement demandé deux jours de vacances pour accompagner Caroline dans sa famille avec Ginji. Un réel moment de complicité qui a redonné le sourire à la demoiselle. Ilea aurait elle aussi eu envie d’avoir une famille à lui présenter.

Les vacances se sont aussi compliquées pour l’éducatrice à cause de la présence de Thésée sur les lieux. La rousse n’arrivait tout simplement pas à établir de contact. Le garçon était trop fermé à sa présence, la considérant comme la méchante, l’horrible personne qui l’a arraché à sa maman. L’éducatrice ne peut que le comprendre et même si elle a essayé de toutes ses forces au roux qu’elle et sa maman ont fait le meilleur choix pour lui pour l’instant, il ne veut rien savoir, incapable de réaliser la réalité qui se trouve en face de lui. Ilea appelle régulièrement sa maman pour lui parler, savoir si elle va bien, lui raconter ce qu’elle sait de Thésée. Parce que même si Ilea n’arrive à se faire une place à ses côtés, elle continuera de rester derrière, pour l’observer et le protéger. Comme elle l’a promis à sa maman.

Ce soir, à la nuit tombée, la jeune femme se voit attribuée une autre mission. La surveillance du couloir des cabines. En soi rien de différent à ce qu’elle peut faire à l’académie à travers les différents dortoirs. Sauf que là ils ne sont que sur deux couloirs différents. La tâche est en théorie plus simple. Mais c’est seulement dans la théorie, car en vacances d’été les élèves sont beaucoup plus agités et souhaitent plus fort qu’à l’accoutumée violer les règles. Forcément ils sont en vacances, les professeurs ne sont pas là pour les recadrer toutes les deux minutes. Mais pour un minimum d’ordre sur le Prince des Mers et un respect des autres voyageurs, il a été décidé qu’à une heure du matin maximum, tous les élèves devaient avoir regagné leur cabine, sans exception. La mission du soir est donc la suivante : Ilea surveille les couloirs pour vérifier qu’il n’y a pas d’agitation ni de chahut dans les couloirs tandis que Wolfang lui renvoie les petits malins qui essaient de briser ce couvre-feu et qui font les malins dans les autres endroits du bateau. Comme un chasseur et une sentinelle. Bon duo non ?

Les deux adultes n’en sont pas à leur première surveillance du bateau et courant du mois d’aout, ils commencent à être rodé sur la question. Il est déjà une heure passée et la véritable surveillance peut commencer. Ilea a d’ailleurs envoyer tous ses évolis avec Wolfang pour l’aider à trouver plus d’élève sur cette zone. La rousse garde avec elle seulement sa Munna, pour l’habituer à rester en présence humaine sans dévorer les rêves de tous les gens qui passent. Au départ, ce pokemon ne lui appartient pas. C’est celui d’une élève, Hope, qui ne pouvait le garder en raison des troubles du sommeil qu’elle provoquait. L’adulte ayant un sommeil particulier, avec un pokemon comme ça à ses côtés de la gêne pas du tout. Mais pour le bien commun, il faut que Yume apprenne à utiliser ses pouvoirs avec plus d’intelligence et pas systématiquement. La mettre au milieu d’un couloir faisant office de dortoir lui parait être une bonne idée pour s’entrainer.

Voilà les premiers qui débarquent. Deux garçons renvoyés par le gardien accompagné d’Esther direction leur chambre. Ilea leur fait un signe d’immédiatement aller se coucher non sans leur lancer un regard désapprobateur. Pour ces deux petits, inutiles de vraiment s’énerver. Ils trainaient probablement sur le pont en train de jouer à Yu-Gi-Oh ou un autre jeu de carte du genre sous les étoiles. Ce n’est pas la première fois qu’ils se font attraper, et la jeune femme aura beau leur répéter, ils rétorquent à chaque fois que jouer dans la nuit sous les étoiles en plein milieu de l’océan sur un bateau de luxe, c’est comme un rêve éveillé pour eux. Et la rousse ne peut pas totalement les contredire.

D’autres élèves s’enchainent dans l’heure suivante. Il y a des habitués du brisage de couvre-feu que la jeune femme réprimande à voix basse avant de les envoyer au lit mais aussi des petits nouveaux. Certains voulaient juste essayer de briser les règles tandis que d’autres voulaient simplement profiter de la fraicheur nocturne plus que nocturne vu l’heure de la nuit déjà bien entamée. L’éducatrice en a même récupéré un qui s’était endormi sur un des transats du pont et qu’Edelyne a ramené tant bien que mal. Le pauvre dormait encore à moitié quand il a rejoint sa cabine. Un moment mignon faisant sourire la jeune femme. Heureusement à chaque fois que ces soirées surveillance ont lieu, Thésée ne faisait pas partie des élèves ramenés de force. La rousse est persuadée que le garçon n’aurait pas apprécié un tel moment.

Déjà deux heures du matin. La plupart des élèves ont été retrouvés par Wolfang. Par expérience, Ilea sait qu’il y en aura encore un ou deux avant que le bateau soit entièrement vidé des élèves de la Pokemon Community, tous dans leur cabine, au moins jusqu’à demain matin 6 heures. Maintenant, il fallait continuer de surveiller le couloir pour veiller à ce qu’aucun élève ne fasse la foire, et ce jusqu’à 3 heures du matin. A cette heure-là, la mission du gardien et de l’éducatrice s’achèvera et ils pourront retourner dormir bien sagement, jusqu’à au moins 9 heures du matin, les autres professeurs prenant la relève pour les lève-tôt. Habituée au garde de nuit, l’équipe constituée de Wolfang et Ilea n’a aucun souci à l’idée d’occuper ce poste.

Justement, la rousse semble capter derrière l’une des chambres du bruit un tout petit plus fort que ce qui est toléré. S’apprêtant à entrer doucement dans la chambre pour leur demander d’aller dormir et de faire moins de bruit, l’éducatrice s’arrête seulement après quelques centimètres d’ouverture, tentant de comprendre ce que les pensionnaires de la chambre étaient en train de faire. Ilea ne met pas bien longtemps à les reconnaitre. Trois jeunes filles sont assises en cercle sur le sol, autour d’une planche de bois que l’éducatrice identifie comme une planche de Ouija. En maitresse de cérémonie, Ilea reconnait Salomé, une jeune Givrali qu’elle a d’abord connu à l’association A2P l’an dernier. A ses côtés ses deux colocataires, Erika et Yuna. Un sacré trio qui ne manque pas d’être remarqué dans le dortoir. La rousse avait conscience que Salomé s’intéressait au spiritisme, mais de là à jouer à ce type de jeu sur le bateau… La jeune femme n’a pas le temps de les interrompre que la voix de la meneuse s’élève dans la chambre.

— Margaux, oh Margaux rejoins nous dans cette chambre nocturne du Prince des Mers.

L’éducatrice, plutôt que de les interrompre, préfère les regarder constater l’évidence. Margaux, peut importe qui est cette jeune fille, ne leur répondra pas car il n’est pas possible d’invoquer un esprit de cette façon. Mais la rousse sursaute violemment quand la plaque se met à s’agiter dans tous les sens, particulièrement le curseur se déplaçant sur la plaque de manière désordonnée. Mystifiée, l’adulte ne peut que continuer à regarder la rousse poser des questions à cet esprit.

— Ça fait quoi d'être une célébrité, Margaux ? T'as des conseils pour Erika (tant pis si ça implique la mort) ?

L’éducatrice souhaitait vraiment croire que la plaque avait été agitée par l’une des deux autres dans le noir pendant qu’elle ne voyait pas mais malheureusement non. La plaque s’agite encore, semblant cette fois former un mot qu’Ilea n’arrive pas à lire, la pièce étant à peine éclairée par le Funécire de Yuna. Heureusement pour qu’elle puisse suivre, Erika se met à lire le mot à voix haute.

— D-E-B-I-L-E

Voilà une réponse tout à fait inédite de la part de l’esprit de la dénommée Margaux ! La rousse est de moins en moins rassurée. Elle croit aux esprits depuis toujours mais n’a jamais connu d’expériences paranormales. La voilà en train d’en vivre une sur cet immense bateau par le biais de trois étudiantes, visiblement décidées à continuer l’expérience le plus loin possible.

— Est-ce que Logan va réussir à pécho Yuna ?

Question qui a l’air d’étonner la bleue qui ne s’y attendait pas. Toujours cachée derrière la porte, la jeune adulte continue de fixer cette plaque à la recherche d’une réponse du fantôme. La voilà complètement absorbée par cette séance de spiritisme, à fond dans la partie à la recherche du moins indice. Surtout que l’éducatrice n’est pas sans savoir toutes les histoires tournant autour de Logan vu le bruit qu’elles ont fait à l’académie. En apprendre un peu plus, plutôt par le biais des filles que par le fantôme l’arrangerait pas mal. Après avoir répondu un premier P-E-U-T E-T-R-E, la rousse ne se contente pas de cette réponse et insiste auprès de la dénommée Margaux qui finit par répondre un O-U-I tranché, de quoi agacer la pauvre Yuna qui visiblement n’avait trop rien demandé dans la discussion. De quoi amuser les deux autres jeunes filles. Mais alors qu’aucune d’elle n’avait posé de questions, une nouvelle phrase apparait sur la plaque, que Salomé lit à voix basse mais suffisamment audible pour Ilea.

— L-A M-O-R-T V-O-U-S G-U-E-T-T-E

De quoi jeter un silence sur la petite chambre et emballer le cœur de la rousse. Qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Un réel danger plane les élèves ? De quoi inquiéter l’éducatrice très consciencieuse, incapable de trouver la réaction appropriée face à une telle annonce d’un esprit inconnu. Après tout, personne ne connait la portée du pouvoir des esprits. Peut être savent-ils des choses qui se produiront ou une vision divinatoire ? Que peuvent-ils dire ou faire pour influencer les vivants ? Quand sont-ils enfin en paix pour quitter notre monde ? Autant de question qui perturbent Ilea.

Jusqu’à ce qu’un petit ricanement émane de la bouche de Yume, encore juste à côté d’elle. Et alors tout devient plus clair. L’illusion vole en éclat et la fureur silencieuse de la dresseuse aussi.

— Ne me dis pas que depuis le début c’est toi qui usais de tes pouvoirs psychiques pour déplacer la tablette ?

La suite des rires confirme à la rousse que tout ça n’était qu’une blague de très mauvais goût. De quoi la mettre en rogne et lui faire perdre patience. Sans plus attendre, la rousse pénètre dans la chambre, faisant sursauter les trois écolières assises à même le sol. L’éducatrice ne perd pas plus de temps pour leur faire une remontrance bien méritée.

— Vous avez vu l’heure qu’il est enfin ? Quelle idée de jouer à une chose pareille ? Maintenant tout le monde au lit ! Et donnez-moi ça, que je m’assure que vous n’ayez pas l’idée de jouer à nouveau quand je serais partie. Vous viendrez la chercher demain.

Une fois la plaque de Ouija confisquée et les filles dispersées dans leur lit respectif, Ilea quitte la pièce et s’avance un peu plus dans le couloir, très remontée. Elle s’était faite avoir par un minable tour de passe-passe provoqué par son propre pokemon. Quelle idée aussi de croire que trois étudiantes pouvaient invoquer un esprit. Ridicule. Ridicule. La rousse se sent vraiment bête d’avoir cru à une mascarade pareille orchestrées de toute pièce par sa Munna beaucoup trop farceuse. La dresseuse adresse un sévère regard à son pokemon tout en marchant, en espérant tout de même que les filles n’aient pas pris trop au sérieux cette fausse rencontre avec le paranormal.