Un rayon de lumière rebelle traversa les volets de la chambre pour venir me chatouiller le bout du nez. Je me retournai dans mon lit pour retrouver les bras du sommeil mais il faut avouer que je suis déjà réveillée depuis une petite demi-heure. A quoi bon se voiler la face. Assise sur la couchette, mes colocataires semblent endormis pour quelques heures encore. Je n’ai pas envie de laisser mon binôme dans cet état, mais l’envie d’évasion reste tout de même plus importante au fond de ma poitrine. On étouffe ici. J’ai chaud et je suis mal à l’aise de les observer dormir. Très protectrice de mes affaires, je n’ai pas de mal à attraper un pull, un pantalon ainsi que mes baskets. Dans l’obscurité je me prépare. Pas de soutien-gorge à porter de main mais qu’importe, je n’ai rien de glorieux à soutenir, mis à part des peines. Existe-t-il des soutiens-peines ? Blague trash sur moi-même de bon matin. Paradoxalement, il n’y a que ça qui me vaut un petit gloussement en ce moment. Sur le pas de la porte, mon sac à dos prêt de la veuille récupéré, je jette un dernier regard à Angel avant de m’éclipser dans le couloir.

La liberté qui nous est offerte aujourd’hui me prit à peine le hall d’accueil franchis. Des dizaines de pins et des chênes enveloppent le chalet et l’envie de m’y perdre me parue comme unique solution à mon escapade. Eden vint me rejoindre dès les premières obscurités de la forêt suivi de peu par Silk. Tel un cowboy, le Grimalin chevaucha le Couafarel docile. Ce petit duo parcourt les sentiers à mes côtés depuis quelques jours, quelques semaines voire des mois, je ne sais plus… La notion du temps semble vous quitter quand vos idées sont elles-mêmes vagabondes. Mais qu’est-ce qu’on s’amuse. De leurs bêtises ils m’amusent, me changent les idées et me font oublier mes douleurs. Une boule de polis et un petit rigolo qui m’en font voir de toutes les couleurs, ensemble plus liés que jamais, mais sans qui ma vie manquerait cruellement de rythme et de rires. Nos silhouettes disparurent des passages fréquentés pour les endroits plus calmes, plus isolés, plus seuls. Aucunes formes de vie aux alentours, les esprits mélancoliques nous tiendront compagnie. Je n’ai pas la moindre idée d’où nous allons. J’ai la journée pour errer.

Le silence de plomb me pèse de plus en plus. Je continue de couler au plus profond des entrailles des océans alors que j’aimerais remonter à la surface pour prendre un nouveau souffle. Un ras-le-bol de toutes ces émotions négatives qui me poussent à l’explosion. Je ne veux plus me détruire à petit feu, le noir ne me va vraiment pas au teint. Fini la naïveté et la fragilité. Les larmes ont trop creusé mes joues pour qu’elles continuent leur voyage. Je ne peux plus être celle que j’étais, je vais être encore mieux. Les poings serrés, un sourire que je n’ai jamais eu se dessina sur mes lèvres. Je ne sais ce qu’il signifie vraiment. Revanche ou renouveau ? On verra bien, mais finalement j’aime ça.

Après avoir disparu derrière le feuillage épais de la forêt, je fus éblouie par la beauté du lac qui s’ouvrit face à nous. Le jeune Grimalin semblant être plus qu’intéressé par l’étendu d’eau majestueux, l’envie d’aller nager me titilla. L’eau risque de n’être pas très chaude, idéal pour raffermir les chairs. La plage est immense peu importe le point de vue ; elle s’étend en n’en pas voir le bout. Le peu de personnes me mit presque mal à l’aise, je n’ai pas envie que l’on s’attarde sur moi, sur ce corps dans lequel je vis, sur cette peau qui fait douter sur le temps qu’il me reste. Disparaissant dans une cabine pour enfiler un maillot de bain, je retrouvai les garçons qui surveillent mes affaires. Face au lac, mon ossature dissimulée sous mon pull, les lèvres déjà violines, je ne suis plus certaine d’avoir envie de me défouler…

J’hésite. Faire demi-tour serait quelque peu humiliant mais l’envie n’y est pas. Les garçons me regardent, perplexes, ne sachant pas si je vais oser me mouiller et aller mettre ne serait-ce que le petit orteil. Eden en est déjà à son dixième aller-retour dans l’eau, le lac l’intrigue bien plus que Silk, le gros toutou risque de bientôt piquer un somme. Je laisse tomber le pull sous les rayons de soleil timides, c’est maintenant ou jamais. Libérant Blup de sa maison sphérique, je la suis à grandes enjambés vers les eaux calmes pour la rattraper. Sans aucune gêne, sans aucun doute, elle disparue dans les profondeurs aussi vite qu’une étoile filante dans le ciel. Atteignant l’écume, l’eau froide vint me faire frissonner de tout mon long. Une seconde de plus et je ne serais plus de ce monde. Une pulsion me fit faire un pas en avant puis un autre jusqu’à ce que l’eau m’arrive à la taille. J’aurais eu envie de crier comme une enfant qui se fait piquer par un jeune Tentacruel vicieux tellement j’avais froid mais le sang chaud parcourant mes jambes ne faisait que détendre les muscles de mes cuisses. Dans cette sensation étrange, je me fis la remarque qu’une sacrée quantité d’eau avait coulé sous les ponts depuis la dernière fois où j’étais si bien, si calme, si Edith. J’avançai jusqu’à ne plus avoir pied, que l’eau me surmonte pour disparaître à pleine plus d’une minute avant que l’air dans mes poumons vienne à manquer. Toutes mes douleurs et mes crispations semblèrent disparaître avec le léger mouvement de l’eau autour de moi. Les joues me brulèrent en remontant à la surface, le sentiment de bien-être estompa les picotements désagréables. Je commençai à nager, rien de ce qui m’entoure n’a d’importance, comme si j’avais le lac pour moi toute seule. La jeune Otaquin me rejoignit, l’eau lui manque j’en suis bien consciente. Jamais elle ne se dévoile plus que quand l’eau fuse sous ses nageoires, jamais elle n’a été aussi rayonnante que lorsque l’eau devient sa piste de danse. Sautant dans tous les sens, je me rappelle au combien elle avait ébloui le petit public venu l’observer sur la croisière cet été, comment on l’applaudissait et comment elle semblait épanouie. Disparaissant de la surface pour s’envoler de plus belle dans les airs, je fus émerveillée par toutes ses prouesses.
Rejoignant le rivage, les heures les plus chaudes de la journée commencèrent à pointer le bout de leur nez. Content d’avoir une camarade pour jouer, Eden courut me rejoindre dans l’eau sans grande délicatesse. Il manqua de boire la tasse à cinq avant d’arriver à ma hauteur ce qui me valut un petit rire. Après avoir arroser toutes les personnes qui nous entouraient, je regagnai ma serviette, un Grimalin sous le bras. Moi qui voulais que l’on soit discret, je pense que ça n’a pas loupé…

Une bonne heure venait de s’écouler et je devais déjà être rouge comme un Krabby. Aucune nouvelle de Blup, a-t-elle décidé de nous quitter avec ses nouveaux amis et de prendre le large ? Après coup, la définition même d’un lac me rassura de la savoir encore proche de nous. Je me rapprochai du bord pour essayer de la voir. L’envie de crier son nom me prit mais à quoi bon, aucun Pokémon ne laissera un si gros bonheur derrière lui, pas pour Blup. Ne pouvant rien faire d’autre que d’attendre son retour, nous n’étions pas là de retrouver le chalet. C’est alors qu’une voix me tira de mon observation peu fructueuse. Une voix qui ne m’est pas inconnue mais qui reste vague. Une jeune femme vient venant vers moi, dont son visage vient éclairer mon interrogation. Nous faisons partie du même dortoir mais aucune occasion encore ne s’était proposée pour se présenter. Idalienor je crois bien, un peu plus âgée que moi.

« Salut Edith ! Comment tu vas ? Tu viens te baigner aussi ? En tout cas tu devrais c’est vraiment agréable. »

Parler, normalement, avec quelqu’un n’est pas arrivé depuis quelques semaines maintenant. Mis à part mes compagnons, dont les réponses sont presque toutes en décalage, il est vrai que le contact humain commence à manquer. Dans un lapse de temps médiocre, je vais devoir formuler une réponse mais tout semble cafouiller et éparpiller dans ma tête. Ne pas être irritée pour faire croire que tout se passe pour le mieux. Dire la vérité serait plus simple mais dans les bonnes manières qu’on nous enseigne, l’unique réponse reste le « oui ». Oui à tout et pour tout. Son visage est radieux, aucune once de méchanceté ne s’échappe même si elle le désirait. Pourrait-elle apprécier une personne comme moi ? Pourrait-elle devenir une amie dans mon avenir où les relations personnelles ne font que faner ?

« Euh… Salut Idalienor, je ne me trompe pas ? Je suis venue profiter du beau temps pour me baigner et voilà que mon Otaquin se fait la malle… Une brasse ça te dit ? peut être que me voir lui donnera envie de retrouver les bras de sa dresseuse… »

Une brasse. La pauvre ne s’attendait surement pas à ça. Je me glissai dans l’eau pour me joindre à elle en un rien de temps, mes coups de soleil appréciant la fraîcheur de l’eau. A cette instant, mon unique souhait était qu’elle ne me trouve pas bizarre et que nous discutions de tout et de rien, comme des gens normaux, pour lui montrer que je suis parfaitement normale. Et maintenant, cette situation n’a rien de normale. Arf…

Mes orteils semblent me quitter au fur et à mesure que nous nous éloignons du bord, l’eau froide n’en fait qu’une bouchée. A moins que le soleil n’est réussi à les atteindre comme le reste de mon corps, je dois ressembler à une sacrée tomate bien mûre. L’air de rien, je nage au côté de la Pyroli bien plus sportive que moi vu son aisance aquatique. Nous nous adressons des petits sourires de temps à autre, mais le dialogue reste timide. Que peuvent bien se dire deux jeunes femmes parfaitement capables d’aligner plus de cinq mots ? Je ne suis même plus certaine d’être capable de faire une phrase lucide sans montrer une once de stress. Assez misérable. Mon regard se porte sur ses compagnons. Un Lokhlass magnifique accompagne Ida et il semble particulièrement attaché à sa dresseuse. Je n’ai pas eu beaucoup d’occasion de rencontrer un tel Pokémon, si bien que le seul souvenir qui me vient à l’esprit n’est pas aussi fascinant que la créature qui se prélasse à nos côtés. Je devais avoir six ans, sept tout au plus, bras dessus bras dessous avec ma grand-mère en direction de la plage. Les châteaux de sable se sont construits aussi rapidement que la journée a défilée sous nos yeux. Le temps du retour étant venu, mes outils dans les bras, je retrouvai le rivage pour les nettoyer lorsqu’il m’a fait face. Un Lokhlass voleur qui n’a pas hésité à dépouiller la petite fille que j’étais. En y repensant, je me demande à quoi a bien pu lui servir mes petits outils avec ses nageoires immenses.

La jeune femme à mes côtés se propose pour jeter un coup d’œil dans les profondeurs avant de disparaître une inspiration après. Mes cuisses me brûlent. Est-ce que j’ai vraiment perdu toute condition physique à en être devenu un Kokiyas ? Les paquets de chips ne m’ont pas aidé à garder la ligne c’est vrai, mais avec la bouée qui a pris la place de mes abdos, une baignade me paraissait tout de même plus simple. Elle réapparue avec autant d’élan qu’elle avait plongé, la respiration plus rapide. Ma boule mouillée ne se trouve pas loin, adoptée par des congénères moins farouches que je ne l’aurais cru. Quelques brasses supplémentaires et son petit nez rose danse sous nos pieds. Le retour n’est pas prévu pour tout de suite, c’est certain, et Idalienor l’a bien compris. Face à face, je regarde les petits détails de son visage. Tout est harmonieux, des petits cheveux qui la couronnent aux quelques grains de beauté qui décorent sa peau uniforme, elle n’a rien à envie aux autres filles.

« Tu es vraiment très jolie. »

Encore une des nombreuses phrases qui auraient dû rester dans ma tête qui rendent les situations embarrassantes. Couler au fond de l’eau ne m’aidera pas à effacer ce que j’ai dit. Zut.

« Excuse-moi, c’est peut-être trop déplacer. Je ne voulais pas dire ça…. Enfin je le pense, mais on ne dit pas des choses comme ça à une personne qu’on vient de rencontrer, enfin je crois ? »

La Pyroli est amusée de mon malaise, et son sourire me libère des flammes qui vivaient en moi. Ouf. Il faut que j’enchaîne sur un autre sujet de discussion pour éviter tout soupçon.

« Et qu’est-ce que tu fais sinon à l’académie ? j’ai entendu que tu étais médecin, est-ce vrai ? »

Il faut vraiment que je revois le côté amical, au plus vite. Ne pas oublié ce soir en rentrant : rechercher sur internet comment arrêter d’être bizarre et avoir de la conversation plus que cinq minutes.