Il doit être 22 heures, bientôt 23h. Seule dans la chambre que Connor m’a prêté le temps de mon séjour dans les locaux, je finis de m’habiller pour ce soir. Toute vêtue de noir, de la tête aux pieds, je n’ai plus qu’à rebattre la capuche de mon sweat sur ma tête et à monter le foulard sombre servant à cacher la moitié de mon visage pour me rendre quasiment méconnaissable. Seul mes yeux bleu saphir restent perceptible, permettant seulement à ceux ayant déjà plantés leurs yeux dans mon regard de me reconnaitre. Pour finir, j’enfile mes mitaines sous le regard inquiet de ma type psy. Cela fait plus d’une heure qu’elle m’observe ainsi sans rien dire. Je sens qu’elle meurt d’envie de parler mais qu’elle n’ose, qu’elle ne sait pas à quel moment elle pourra intervenir sans briser la tension palpable qui s’est installée dans cette petite pièce. Finalement, je choisis de le faire pour elle.
- Que veux-tu dire Hyori ?
- Idalienor, tu n’es pas obligée d’y aller tu sais. Je suis sûre que Connor comprendra. Il comprendrait que tu ne souhaites pas t’impliquer encore davantage là-dedans. Tu en as déjà beaucoup fait.
- Je ne reculerais pas Hyori. Ce qui va se passer ce soir est après tout la véritable raison de ma présence. Je ne peux pas abandonner maintenant.
Ce n’est qu’après avoir relevé la tête vers le miroir que je réalise à quel point, le visage masqué ainsi, mon regard n’en ressort que plus dur. Je soupire un grand coup avant de faire signe à ma Eoko de s’approcher. Avec douceur, je laisse mes doigts glisser contre sa peau bleutée pour essayer de la rassurer au mieux.
- Et puis, je n’y vais pas pour me battre, mais pour empêcher les autres de se battre. Il n’y a aucune raison que cela se passe mal. Je vais juste aider Connor à éviter qu’il y ait trop de blessés et de dégâts matériels. Tu n’as pas de raison de t’inquiéter.
- Tu sais que je m’inquiéterais toujours…
- Je sais
Après un dernier regard échangé avec Hyori, je la rappelle dans sa pokeball, équipe mon sac à dos noir et quitte la pièce. En bas, seul Connor est encore levé, m’attendant de pieds fermes « Tu es prête ? » « Oui je le suis ». Sans en ajouter plus, nous quittons tous les deux l’enceinte de l’association. Le trajet effectué à pieds se fait en silence. Tout ce qui va se passer ce soir a déjà été répété encore et encore. Cela ne m’empêche pas de me repasser une nouvelle fois le film prédictif dans ma tête, pour être sûr de n’en publier aucun détail. Ce soir doit avoir lieu une imposante rixe entre deux clans rivaux de la banlieue. Il s’agit d’une démonstration de force qui va très probablement occasionner des dégâts. La rumeur circule depuis déjà des semaines mais les dernières enquêtes du gérant de l’association lui ont permis de confirmer que c’est bien ce soir que tout va éclater.
Connor a deux objectifs. Le premier est de limiter les dégâts en neutralisant le plus d’assaillants violents possibles. Si la plupart vont probablement chercher à se battre à mains nues ou avec des battes, d’autres risques d’employer des stratagèmes beaucoup plus violents comme des cocktails molotov ou autres fabrications artisanales du genre. Enfin, et ce qui est probablement le plus à craindre, c’est que certains fassent appel à des pokemons pour semer le chaos. C’est là que j’interviens. Mes pokemons doivent se charger de mettre hors d’états de nuire les éléments les plus dangereux. Un regard en arrière me suffit à confirmer que Ruru est déjà là, dans l’ombre de ses illusions, et qu’à tout moment elle peut sortir les griffes pour me protéger. Les autres sont encore dans leurs pokeballs, conscients de ce qui les attend pour ce soir. Pas tous bien sûr, mais disons que certains sont plus aptes au combat que d’autres.
Le second objectif est d’évacuer les potentiels adolescents qui auront été pris dans les conflits mais aussi civils innocents. Ce sera plutôt la mission de Connor, d’où l’inquiétude d’Hyori. Je serais en première ligne. Mais je suis préparée, ce n’est pas la première fois que cela arrive. Deux clans d’une banlieue ne peuvent pas être pires que trois associations de malfaiteurs en pleine guerre civile. Enfin, c’est sincèrement ce que je crois. Après avoir survécu à ça, cette mission me parait à ma portée. J’ai tout de même pris dans mon sac des équipements de premiers secours si jamais il y a des blessés nécessitant une intervention rapide.
Malgré tous les films que j’ai pu me faire, il y aura toujours des inconnus. De quel nombre d’individu parle-t-on ? Quels moyens ? Combien de pokemons ? Jusqu’à où sont-ils prêts à aller pour un simple combat de Galifeu ? Le brun n’a pas pu me donner de réponse exacte face à l’imprévisibilité de la nature humaine. Tout ce que l’on sait, c’est qu’on doit se tenir prêt à tout. Lorsque le gérant me voit me replacer l’oreillette correctement, il ajoute « N’hésite surtout pas à t’en servir, je serais toujours là pour répondre. Et au moindre problème, tu quittes la zone. De toute façon, la police devrait vite arriver. On doit se considérer comme des primo-intervenants, conscient de ce qu’il se passe et prêt à limiter les dégâts » « C’est compris Connor ».
Si nous avions des doutes sur le lieu des hostilités, les bruits de plus en plus forts à mesure que nos pas avancent dans les ruelles ne laissent plus place à aucun doute. Les gens se rassemblent. Toujours cachés dans une ruelle, nous avons enfin vu sur l’endroit. Un grand carrefour réinvesti en champ de bataille urbain. Il doit déjà y avoir une trentaine de personnes, et d’autres arrivent encore. Les gens sifflent, s’encouragent, commencent à hurler de former des groupes. Des battes dans les mains pour certains, les poings visibles pour d’autres, chacun semble avoir adopté sa méthode pour se battre. Je distingue également parmi les étincelles déjà allumées pour y voir plus clair des sacs. Impossible de savoir avec exactitude ce qu’il y a dedans, mais il est a peu près certains qu’ils vont servir de projectile. Je fais un signe à ma Zoroark pour qu’elle tente d’en savoir plus grâce à ses grandes capacités de dissimulation. L’affrontement en lui-même n’a pas commencé, c’est maintenant ou jamais pour en savoir plus sur nos ennemis.
A notre grand soulagement, nous ne voyons pour l’instant pas d’enfants impliqués. Les plus jeunes doivent avoir 17 – 18 ans environ, rendant les perspectives meilleures pour Connor qui craignait de devoir ramener d’autres enfants blessés et abandonnés ce soir. J’espère que ce ne sera pas le cas. Mais fatalement, cela signifie aussi des personnes plus violentes, plus difficiles à raisonner. Tout ce qui nous reste à espérer, c’est que les policiers viendront en nombre suffisant pour les contenir, ou au moins les faire fuir avant que les dégâts ne soient trop importants. Je respire à fond une nouvelle fois. Cette fois, il n’est plus possible de faire demi-tour.
Mon cœur rate un battement quand le premier fumigène est lancé. Je ne m’attendais pas à ça comme top départ mais il va falloir s’y faire. D’un signe de tête, Connor et moi nous séparons pour couvrir plusieurs terrains. Lui aussi a à ses côtés des pokemons puissants. Je ne doute pas qu’il soit capable de s’en tirer. Les fumigènes créent rapidement une ambiance complexe, permettant très mal d’anticiper quoi que ce soit. Les cris redoublent d’intensité et les étincelles commencent à se distinguer. Mais étrangement, les deux clans ne semblent pas s’approcher davantage.
Mais au cœur de la fumée finit par se distinguer une lueur que je reconnais sans mal. Des flammes. D’abord effacées, elles sont de plus en plus intenses jusqu’à qu’enfin leurs lanceurs soient visibles. Des Grotichons en ligne, formés pour faire le plus de dégâts sur le terrain qui sert de lui d’affrontements. Je conserve pour ma part une bonne distance, cherchant encore la meilleure stratégie à adopter. Pour l’instant, il faut limiter les dégats potentiels de brulure. D’un mouvement, j’appelle ma Loklhlass pour lui hurler les premières consignes « Il faut arrêter le brasier ! Concentre-toi sur les flammes ! Les autres vont se charger des lanceurs ».
Le monstre marin assimile les consignes avant de répliquer avec de puissantes attaques Hydrocanon. Mais le nombre de lanceur complexifie la tâche. J’appelle dans la foulée Zeno et Dama. Un dans chaque camp pour riposter contre les assaillants. La stratégie a été vue et revue un certain nombre de fois. Ils savent comment se positionner pour l’emporter. De mon côté, j’essaie de garder un œil sur l’ensemble mais une première secousse fait trembler mes positions. Un Gigalith sorti de nulle part est en train de secouer la terre. Des fissures se créent déjà dans le sol.
Et si seulement c’était le seul problème.
Les hommes aussi de leurs côtés se battent. Ils se frappent encore et encore. A la main, avec des objets, de toutes les manières différentes pour faire mal. Le sang gicle des bouches déformées par la haine et la douleur. Les bleus s’accumulent sur les visages. Certains finissent au sol. Je voudrais intervenir, mais je ne sais même pas par où commencer. Je me sens impuissante, gagnée petit à petit par la violence ambiante. Mon cœur tambourine de plus en plus fort. Mes pensées sont confuses. Je distingue à peine Connor et mes propres pokemons dans la foule. Le chaos le plus complet s’empare de moi.
Mais étrangement, tout devient limpide lorsque mes yeux se posent sur un homme. Je l’ai déjà vu, et je sais où. C’est le père de Simon. Cette espèce d’ordure qui a démoli son propre fils. Mes poings se serrent, et une folle idée traverse mon esprit sans parvenir à le quitter. Heureusement pour moi un peu à l’écart, je n’ai pas trop de mal à le saisir par le col et à le trainer dans une ruelle non loin. Il pue l’alcool.
Immonde.
D’un geste sec, je le jette contre le sol et le plaque, me positionnant au-dessus de lui. Son corps est maigre, dévoré par l’alcool et probablement autre chose. Il vient se battre, mais il n’est même pas capable de riposter contre une jeune femme comme moi. Je hurle sans vraiment savoir pourquoi.
Vous mettez votre fils dehors, vous l’injurez de tous les noms et le battez quasiment à mort et ensuite vous avez le culot de vous pointer ici ?! Vous n’avez pas honte ?!
- Mon fils ? Quel fils ?
- Simon…comment peux-tu….
- Ce gamin n’est pas mon fils. Une tapette tout au plus
Il finit sa réplique en me crachant à la figure. Mon visage laisse apparaitre une mine dégoutée. Pas à cause de ce crachat, mais à cause de cet homme.
Une ordure.
Un monstre.
A partir de là, les choses ont dérapé. Mon poing s’est abattu d’un seul coup sur son visage. Puis un autre. Puis encore un. Le sang a commencé à perler de son visage, mais aussi de mes doigts. J’ai continué à le frapper. Encore. Encore. Encore. A la fin, c’est à peine s’il arrivait à me parler pour me supplier d’arrêter. J’ai mal aux mains. Mais j’ignore pour continuer à le fracasser.
Finalement, c’est peut-être moi le monstre.
Une jeune femme avec le complexe du héros
- Arrête ça
Cette voix finit par m’arrêter dans ma folie destructrice. Lorsque je reviens à moi, je réalise ce que je lui ai fait. J’ai massacré son visage. Tuméfié, couvert de sang et de bleu, c’est à peine s’il respire. Choquée par mon propre geste, je recule d’un cran et me laisse tomber sur le sol, dégoutée de mon propre comportement. Un haut le cœur me saisit tandis que le sang continue de couler le long de mes mains.
- J’imagine que si la protégée temporaire de Connor a massacré ce type, c’est qu’il devait sacrément le mériter. A ta place, je dégagerais d’ici en vitesse, les flics sont déjà là, et il t’attend. Allez file.
Son regard est un mélange étrange entre le dur et le bienveillant. Masqué sous une immense cape, je devine seulement une femme costaud à la peau halée. Sans attendre, je me relève maladroitement et traverse la ruelle pour disparaitre. Dans ma course, Hyori se libère seule de sa pokeball et m’interpelle mentalement
- Idalienor qu’est-ce qui s’est passé ?! Tes mains !!!
- Rappelle tout le monde.
Le monstre a assez fait de dégâts comme ça