Cette chanson-là, c’est un peu comme si elle était gravée dans son ADN, et dans tous ceux des gitans probablement. C’est relativement ironique quand on pense qu’elle n’a pas du tout été écrite par des gitans. Loin de Kendji Giratina donc. Mais pourtant, pour une raison qui lui échappe en partie, toutes les communautés l’ont adopté, et la chantent avec grand plaisir, la transmettant de générations en générations. Comme toutes les mamans du clan, Indra lui a apprise très jeune, et peu de temps après, le bleu la jouait lui-même à la guitare et la chantait autour du feu avec les autres enfants.

Aujourd’hui, la situation est un peu différente. Bien loin de son feu de camp, Itzan gratte sur les quelques cordes de sa guitare tout en marchant et en fredonnant les paroles de cette chanson écrite dans une langue qu’il maitrise parfaitement. Ses pas le guident un peu au hasard à vrai dire, et ne le guident vers aucune destination précise. Il marche juste, pour passer le temps, et se retrouver tranquille avec sa guitare. Tellement au hasard qu’il a croisé un peu plus tôt le référent de son dortoir, équipé de son maillot de bain, se dirigeant vers la mer. Vu comment il insiste pour se maintenir en forme en toute circonstances, cela n’a pas étonné plus que ça le Voltali qui a tranquillement continué son chemin.

Son petit groupe est déjà bien occupé aujourd’hui, et le garçon ne se sentait pas de s’incruster dans leurs activités. Ses coutumes a lui ne sont pas celles de ses amis, et les écarter trop longtemps lui donne l’impression de les renier. Alors, à défaut d’être autour d’un feu avec des femmes dansants et guidant les plus jeunes, il peut au moins jouer de la guitare.

Et puis, les quelques petits mouvements qu’il sent dans sa capuche ne lui donne pas du tout envie d’arrêter. Au fil des mois qu’ils ont passé ensemble, le gitan a commencé à identifier les musiques préférées de son partenaire. Et celle-ci en fait partie. Sans parler de danse, Doudou tengue légèrement, signe qu’il se laisse à sa façon entrainer par le rythme de la musique. Une nouvelle qui ravie toujours Itzan, heureux que son pokemon le comprenne. Dans très peu de temps, il va pouvoir le présenter à Indra et aux membres de son clan. Il sait que cela va certainement être une épreuve pour lui. Il va rencontrer beaucoup de personnes d’un coup, engendrant une bonne dose de stress, et de pleurs. Mais le bleu fera de son mieux pour que cela se passe bien. Et puis, Doudou ne peut pas ne pas aimer sa maman. C’est juste impossible.

Seulement, à mesure qu’il s’enfonce dans la forêt, il comprend bien qu’il n’est pas tout seul. Sans doute que quelqu’un a eu la même idée que lui. Quelque chose de fréquent visiblement dans cette école (non c’est un truc de rpgiste ça Itzan). Le garçon ralentit un peu, histoire de rapidement avoir un visuel de la personne le suivant. Une fille, surement un peu plus âgée que lui, au long cheveux roses. Il ne la connait pas du tout. Elle n’est pas dans sa classe c’est certain. Bien obligé de sociabiliser, et toujours un peu tchad sur les bords il faut le dire, le bleu s’arrête dans sa chanson et l’aborde.

— Toi aussi tu te promènes ici ? Tu connaitrais pas un bon spot pour se poser avec une vue sympa et jouer de la guitare ? Je ne me suis pas trop promené là encore, tu pourrais me servir de guide. Si le cœur t’en dis bien sûr.

Se doutant que la chanson n’allait pas pouvoir reprendre immédiatement, le bleu fait sortir de sa capuche Doudou pour le prendre sur son épaule, histoire d’établir un contact plus proche encore avec son pokemon, du moins le temps de l’échange avec l’étudiante.

Evidemment, Itzan n’a pas pu s’empêcher de tchatcher un peu. Que ferait-il sans ça après tout ? Surtout devant une jeune fille un peu plus âgée que lui au look bien particulier. Il n’a pas fait grand-chose pour l’instant. Juste une attitude, et une toute petite phrase pour la jauger un peu, s’adapter à ses réactions, et en fonction de son mood continuer de s’amuser un peu. Ce n’est pas une manière de se moquer pour le gitan, loin de là. C’est juste sa manière d’être, d’appréhender certaines relations sociales. Et puis de toute façon, il n’est pas du genre à forcer ni aller trop loin. S’il capte que quelque chose ne va vraiment pas, il arrête immédiatement. C’est ce qui est arrivé avec Magnolia après tout.

Mais pour cette adolescente, le bleu ne détecte aucun malaise grave. Seulement une fausse assurance. Rien donc qui ne va l’empêcher de continuer le dialogue sur ce ton.

- Moi je suis Itzan Xoaelteño, là pour te servir le temps d’une promenade. Tu ne me déranges pas ne t’en fais pas. Si tu veux on peut marcher ensemble, le temps que tu trouves ton endroit, et moi le mien. Et puis comme ça, tu pourras profiter de la musique.

Le garçon n’a jamais trop compris quel était l’utilité de se présenter en ajoutant son dortoir. Ca ne change rien à notre personne, dans quel dortoir on vit. Alors quel intérêt de l’ajouter comme si cela définissait vraiment les gens ? De ce qu’il a compris, il fut un temps où les dortoirs avaient des ambiances particulièrement différentes, comme si les gens étaient triés par caractère. Mais apparemment ça c’est perdu, et Itzan ne l’a jamais ressenti comme ça de toute façon. Son meilleur ami est censé être dans le dortoir de ceux à l’ego surdimensionné. Bien loin de Ash. Les Pyrolis pour les sportives de haut niveau. Pareil, loin d’Agatha. Et pour les Mentalis fan de mode, il a Lyria qui comprend à peine la différence entre un tshirt et un pull et Magnolia qui certes varie un peu mais qui est plus un Ratatta de bibliothèque qu’autre chose. Ouais, on y est vraiment pas.

Lilas n’a pas l’air contre l’idée et lui présente même ses pokemons. Elle s’entousiasme de la suite du programme, une réaction presque trop enjouée par rapport à ce qu’avait prévu Itzan. Mais qu’importe, il sait s’adapter.

- Et voilà Doudou. Il est relativement craintif, mais très mignon. Je l’aime de tout mon cœur. Merci pour l’indication en tout cas, j’irais jeter un œil plus tard. Autant essayer de trouver ton spot camping, surtout que je ne suis pas trop mauvais pour les repérer.

Ça c’est le moins que l’on puisse dire. Comme dirait Lyria, il campait en permanence avant, gitan oblige. Et la dernière sortie capture lui a prouvé qu’il en était encore tout à fait capable. Alors sans doute qu’il pourra donner des conseils à la Mentali qui, sans vouloir juger, n’a pas l’air une grande habituée des sorties à la campagne. Ses pokemons marchent plus ou moins autour d’elle tandis que Doudou est toujours dans sa capuche. Le garçon gratte de nouveau sur les cordes pour essayer de retrouver un rythme facile à jouer sans trop réfléchir tout en marchant, en espérant qu’ainsi il arrive à avoir une conversation avec Lilas.

Quelques essais plus tard, le garçon est relativement bien accordé et laisse les notes gitanes s’échapper dans les airs tandis qu’il tente d’entretenir la conversation avec la demoiselle.

- Du coup pourquoi cette subite envie de camping ? Les professeurs vont forcément en organiser, alors pourquoi ne pas attendre quelque chose de plus encadré ?

En espérant qu’il arrive ainsi à mieux la cerner.

Habituellement, ces promenades de ce style, il les fait tout seul. Reliquat de sa vie en camp où les rares moments de solitude et d’intimité étaient aussi précieux que le diamant. La vie en communauté a ses avantages mais aussi ses inconvénients. Le bleu ne l’a jamais vu comme tel. Simplement, il a adapté son attitude en conséquence afin que son esprit soit plus tranquille. Et sortir avec sa guitare marcher au hasard tout en grattant les cordes faisait partie de ses mécanismes presque automatique pour garder un bon équilibre.

Maintenant, il est tout seul dans sa chambre, ce qui est déjà une grande nouveauté. Et puis, même s’il a un bon groupe d’ami, ils ne sont pas h24 ensemble comme il pouvait l’être avec les membres de son clan. En résumé, il est bien plus souvent seul qu’il ne l’était à l’époque. Pourtant, cette façon d’aller marcher pour prendre l’air ne l’a pas quitté. Peut-être, de nouveau, une manière inconsciente de se persuader que sa vie d’avant n’a pas disparu ?

De toute façon, pour la promenade parfaitement en solo, c’est ripé. Pas que la présence de la Mentali soit gênante, mais simple constat numéraire. Pendant qu’il continue de jouer cette simple mélodie, il attend de voir ce que l’adolescente va lui répondre sur cette envie de camping. Et pour quelqu’un qui le connait à peine, Lilas est étrangement loquace, et se permet même quelques références à sa vie d’avant. De quoi faire sourire légèrement le gitan.

- Je vois ce que tu veux dire. Je n’ai jamais été à l’école avant, mais c’est vrai que c’est spécial ici. Après c’est plus l’aspect des gros combats de pokemon qui m’a fait tout drôle. Pour moi camper, c’est un peu comme respirer ahah. J’aurai bien aimé te dire que je comprends pour le fait d’être fille unique puisque je suis fils unique aussi. Mais comme je vivais en communauté, j’imagine que pour moi cette façon de vivre en dortoir est normale. Après les Mentalis sont peut-être pires que les Voltalis, et plus collante, j’en sais rien.

De ce qu’il en sait, Magnolia et Lyria sont en colocation avec une troisième fille plus âgée qu’elle. Après pour le reste, elles ne s’étendent pas des masses. Probablement que Magnolia a trouvé des endroits stratégiques pour être tranquille, réservée comme elle est. Itzan ne l’imaginerait pas dans un bain de foule de jeunes adolescents spécialisées dans la mode de toute façon. La rose ferait une syncope au bout de 3 minutes à n’en pas douter.

- Oui j’y vais de temps en temps, surtout quand j’ai besoin de m’aérer. Et pareil, la guitare c’est un peu ma signature maintenant. Après pour le camping… faudrait vraiment que je me renseigne mieux sur comment les rumeurs se transmettent ici.

Le garçon ricane un instant, repensant à ses débuts dans l’école où le fait de dire être un gitan lui a valu pas mal d’appellation peu flatteuse. La rumeur était allée très vite, et en quelques semaines, il ne pouvait plus échapper à l’appellation « hey le gitan » dans les couloirs de personnes qu’il ne connaissait pas du tout. Mais après la méconnaissance de cette information par Lissa, puis Lilas, le bleu devrait reconsidérer les choses. Peut-être qu’en passant sur Leiar, son histoire s’est perdue dans l’océan.

- En fait j’appartiens à un clan de gitan. Alors forcément pour vivre, on voyage beaucoup et on s’installe à pleins d’endroits avec nos caravanes. C’est pour ça que je te dis que je sais bien repérer les spots. Après je triche un peu, ce n’était pas forcément du camping comme tu l’entends toi, mais si je pense qu’en pratique c’est un peu tout comme.

Qu’est-ce qu’il a hâte que Doudou découvre sa vraie famille, son chez soi. Il lui tarde de rentrer chez sa maman et de lui raconter encore pleins de choses. La date tant convoitée se rapproche, et l’impatience monte de plus en plus, de quoi rendre le gitan parfois un peu nerveux.

Toujours est-il que là tout de suite, il est avec Lilas. Une débutante en camping qu’il doit guider vers une position sympa. Sans trop le dire, le bleu change un peu de cap, se rappelant d’une zone qu’il avait bien aimé une fois pour jouer, et qui devrait faire un endroit sympa pour une débutante. C’est surtout une zone facile d’accès. Donc si elle a un problème, les gens ne mettront pas une plombe à la retrouver.

C’est marrant, Itzan ne voyait pas la Mentali aussi loquace. Mais il faut croire que des choses la tracassent, puisque rapidement elle déverse moultes paroles pour aborder ses difficultés. Des thématiques qui ne touchent pas directement le garçon. Pourtant, il essaie de mettre de l’ordre dans ses pensées pour répondre quelque chose.

- Après tu sais, je ne pense pas que les gens se caractérisent par des hobbys. Moi les gens me connaissent souvent parce que je suis un gitan, et que je me balade avec ma guitare. Mais, même si ça fait partie de moi, je ne l’ai pas fait pour que les gens m’identifient mieux. Et en plus, la plupart de ces gens ne me connaissent pas en vrai. Donc finalement, mes hobbys ça n’a pas tellement d’importance.

Le Voltali réalise qu’il ne va pas avancer dans ce qu’il veut dire comme ça. Alors il se reprend.

- Ce que je veux dire, c’est que c’est bien aussi d’aimer pleins de trucs différents. Ca te caractérise tout autant qu’une seule passion. Tester des trucs, c’est vraiment cool. Et si le camping ça te plait, tant mieux. Mais je ne suis pas sûr qu’une course aux hobbys t’aide beaucoup dans ce que tu recherches. Ta place, tu la trouveras naturellement, enfin je pense.

Le garçon n’a même pas pris la peine de demander à l’adolescente si c’était cela son vrai problème. Trouver qui l’on veut être, et surtout la place que l’on veut avoir dans ce monde. Des problématiques qui ne sont pas exactement celles du gitan mais qu’il peut aisément comprendre.

Brusquement, la musique s’arrête, Itzan étant obligé d’indiquer plus de choses à sa camarade.

- On est pratiquement arrivé là où je voulais t’emmener. On va couper plus largement dans ce bout de forêt, mais vraiment pas longtemps t’inquiètes. Et après on sera à un endroit vraiment chouette.

Même s’il se considère proche de ses amis du club des 5, il sait bien qu’en réalité ils se cachent énormément de chose. Lui le premier s’est refusé à leur révéler la particularité du clan dont il est originaire. Pas celui où il vivait, mais les Xoaelteño. Alors fatalement, il peut difficilement en vouloir à ses amis. Mais, sans être le plus grand des génies, il sait bien que son bro ne dit pas toujours tout ce qu’il ressent vraiment lorsqu’il évoque la relation avec son père et l’injustice dont il est victime. Il sait bien que Lyria cache un profond traumatisme dans sa relation avec sa mère. Il sait bien que, même si elle ne l’exprime pas comme ça, la manière dont a été élevé Agatha dans cette grande famille lui a donné des responsabilités importantes pour une si jeune enfant. Et enfin, il sait bien que Magnolia cache quelque chose de très gros. Il le sait, mais il n’insiste pas.

Ils auraient tout le temps de se dire les choses, quand ils seront près.

Alors forcément, quand cette fille qu’il connait à peine se confie une de ses faiblesses, essaie d’expliquer au gitan que dans le milieu dont elle vient, il est important d’avoir des choses marquées nous caractérisant pour exister, Itzan est étonné. Lilas parle plus que ceux à qui il a été habitué. Mais ça n’a pas d’importance. Elle a l’air d’avoir besoin d’oreilles pour l’écouter, et d’une voix pour lui répondre avec sincérité.

- Je comprends ce que tu veux dire. Je ne viens pas du même milieu que toi, alors je ne me projette peut-être pas de la même façon. Mais dans ma communauté, les enfants c’est sacré. Fonder une famille tout autant. Et souvent, les couples ont des enfants jeunes. Pourtant, ils ne se privent pas par la suite de faire les choses qu’ils aiment, et de continuer à exploiter leur don, ou même apprendre de nouvelles choses. La vie ne s’arrête pas. Pas parce que tu as un enfant en tout cas.

C’est plutôt quand on en perd que la vie s’arrête au sein de la communauté. Itzan se souvient sans peine des danses mortuaires qu’ils ont réalisé tous ensemble en l’honneur de Maya. L’enfant que Salomé n’aura jamais. Un jour très dur pour tout le clan qui pleurait cet enfant qui ne serait jamais avec eux.

- Après tu as raison. Essaie plein de trucs. Tu finiras par trouver ce qui te convient le mieux. Et je crois de toute façon que cette académie nous pousse à être les meilleurs, d’une manière ou d’une autre. Quand tu rentreras après ton diplôme, tes connaissances seront surement bien étonnées de tout ce que tu auras fait ici. On survit déjà à une catastrophe tous les 6 mois, ça devrait nous rajouter des points de style.

Le Voltali ricane même si au fond ce n’est pas bien drôle. Après ce n’est pas tout à fait faux. Cette école développe leur talent, mais surtout leur instinct de survie. Ça ne fait aucun doute.

Heureusement, le garçon se souvient très bien du chemin menant à l’endroit où il veut emmener la rose. Assez vite, ils finissent par arriver dans une jolie clairière qui semble complètement conçue pour le camping. La Mentali a l’air très heureuse de cette trouvaille et remercie chaleureusement l’agent apprenti.

- T’inquiète il n’y a pas de souci. La forêt n’est pas à moi. En tout cas rappelle toi bien du chemin, tu pars de ce côté si jamais t’as une galère et que tu veux retrouver la route principale. Je te laisse moi, bon camping et à bientôt peut-être.

Guitare entre les bras, Itzan reprend sa route, faisant demi-tour pour continuer sa promenade. Il n’a pas envie de rentrer tout de suite. Et le camping en forêt, ça sera pour une autre fois. Avec ses amis il l’espère.