GINJI LABELVI

Je passe une main sur mon front, et souffle un coup. En dépit du froid ambiant, mon corps est bien réchauffé par l’effort. Je frotte mes doigts entre eux, et les débarrasse ainsi du terreau qui les recouvre.

Satisfait, j’observe ensuite le résultat de mon dur labeur. Des bruits de pas derrière moi m’informent alors de l’arrivée d’Erika.

« -Tu as pu faire ce que tu voulais ? »

Elle vient se placer doucement à ma hauteur, et contempler mon œuvre. L’arrière de sa maison a été entièrement désherbé, labouré et fertilisé.

« -Depuis que j’ai quitté la maison de mes parents, je n’ai pu faire que de la culture en serre. Si tu savais à quel point ça me rend heureux d’enfin avoir un jardin ! »

Erika vient déposer un bisou sur ma joue, avant de faire demi-tour.

« -Si tu peux en prendre soin… Il est tout à toi ! »

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Je tire une moue dépitée, et fais le tri parmi mes caisses. Oz se penche par dessus mon épaule.

« -… La récolte a bien pris, non ? Pourquoi tu tires cette tronche ? »

Mes doigts viennent saisir une Baie Oran, et jongle avec.

« -Bah, oui, on a des baies qu’ont beaucoup donné, mais… »

J’attrape une Baie Lingan.

« -Il y en a d’autres qu’ont vraiment pas poussé. C’est dommage, j’aurai espéré pouvoir refaire mes stocks... »

Mon Raichu croise les pattes.

« -Une baie ou une autre… Qu’est-ce que ça change ? Vu les salades qu’on en fait, je ne sais pas si on fera une différence, en terme de goût… »

Je dévisage mon starter.

« -Vous… Vous faîtes QUOI avec mes baies ?! »

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Mes mains agrippent fermement le manche, et la pelle s’enfonce dans le sol meuble. En faisant attention à ne pas en faire tomber, je déplace la terre derrière moi.

Oz avise toutes les planches en bois à côté de moi.

« -Tu veux agrandir les parcelles… ?
-Nop !... »

J’enlève encore un monceau de terre, puis désigne les plants non loin.

« -Je les déplace juste. Vu que les journées vont être de plus en plus longues… Les baies vont être plus longtemps exposées au soleil. Il faut que je fasse attention à ça… »

Je m’essuie le front.

« -L’avantage de la culture en serre, c’est que les conditions climatiques étaient stables. Un jardin est plus agréable, mais demande aussi plus d’entretien… »

Si j’ai bien calculé mon coup… En replantant mes baies par là, elles devraient s’en montrer reconnaissantes !

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« -Aïe ! »

J’agite ma main en réaction du coup qu’elle vient de prendre. J’écarte le marteau, et porte ensuite mon doigt à mes lèvres pour atténuer la douleur.

Cela arrache un rire à Caroline.

« -Hé, fais gaffe.‘Faut que tu restes en un seul morceau pour tes gosses. »

Je soupire, et recule pour constater l’état de notre avancement. L’infrastructure commence à prendre forme, mais n’est pas pleinement terminée. Ma grande sœur expire à son tour.

« -Tu pouvais pas le faire monter par des pros… ?
-Si, mais… Ça m’aurait coûté un supplément. »

Elle lève les yeux au ciel, et se penche sur la notice.

« -Bon, alors… Ça c’était l’étape quatre, et maintenant… Argh, mais il faut combien de temps pour monter cette cabane ?! »

J’ai un sourire en la voyant s’agacer. Heureusement que Caroline est là pour m’aider, Erika en est bien incapable, au stade d’avancement de sa grossesse. Et je tiens à construire cette cabane pour nos enfants au plus vite : d’ici à ce qu’ils auront l’âge d’y jouer, le jardin aura probablement de moins en moins de place. Alors, autant la placer maintenant avant que mes baies ne prennent toute la place… !

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Je lâche un râle exaspéré.

« -Non... Ca ne va pas... »

Lissa contemple mon jardin, et penche la tête sur le côté.

« -Oz m'a dit que tu te mettais particulièrement la pression sur tes serres, en ce moment. Tu es sûr que tu n'en fais pas un peu trop ? La récolte a l'air de bien se porter... »

Je tire une moue dépitée. Depuis que mon starter a appris à parler, il ne sait plus vraiment la fermer...

« -Non... Enfin, si, mais.... Ce n'est pas assez ! Pas à deux semaines du terme... »

Ma petite soeur sourit doucement.

« -Tu... Comptes utiliser les fruits de ton jardin pour... Nourrir tes enfants ? »

J'acquiesce avec conviction. Le sourire de Lissa se fait plus pincé.

« -Ginji, tu... Tu sais que quand tes enfants auront l'âge de les manger...  »

Elle me toise d'un air désolé.

« -... Les baies auront pourri ?
-.... »

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J’appose mes mains sur mes hanches, et passe le jardin en revue. Le printemps va permettre aux plantes de fleurir, et mon potager commence progressivement à s’étendre avec densité. Ce sera encore plus impressionnant cet été, mais… Je suis quand même fier du résultat.

A côté de ça, il y a une petite cabane de bois. Si celle-ci a pour finalité de servir à mes futurs enfants, en l’état, elle est très utile pour entreposer mes outils et mon matériel. Au passage, ça constituera une bonne sécurité pour leurs premiers pas à l’extérieur…

Il y a encore de la place pour nos nombreux Pokémon, à Erika et moi, bien évidemment. Mais j’envisage également de carreler le sol devant l’entrée du jardin histoire d’installer une petite terrasse, sur laquelle on pourra prendre notre petit déjeuner l’été. Et pour finir…

Avec mes doigts, je forme un cadre via lequel je cerne un coin du potager. Ici… Une balançoire ! Ça sera parfait. Quand ça sera prêt…

Nos enfants devront avoir de quoi s’amuser.

« -G… Ginji ? »

La voix paniquée de mon starter parvient jusqu’à moi. C’est rare de le voir ainsi débouler dans le jardin, et c’est encore plus rare qu’il ne m’appelle pas Crétin.

« -… Qu’est-ce qu’il y a ? »

Je sens à son expression qu’il est conscient de l’urgence de la situation, sans pour autant savoir ce que ça implique réellement.

« -Il y a… Erika qui… Perd les eaux ?
-… ?! »

Je lâche mon matériel en trombe, et retourne à l’intérieur de la maison en quatrième vitesse.

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« -… ♪
-... »

Je sifflote tout en ramassant mes baies. A mesure que je les range dans mon panier, je retourne la terre et replante de nouvelles graines. Le tout se fait avec légèreté, sous le regard extrêmement… Perplexe de mon starter.

« -Tu es…. Bizarre. »

Loin de me laisser affecter par cette remarque parfaitement gratuite, je continue ma récolte.

« -Pourquoi donc ? ♫ »

Sa voix mentale s’amplifie brusquement.

« -Ça… Ça fait des semaines que tu es tendu comme pas possible quand il s’agit de tes baies, et là d’un coup, tu redeviens presque aussi insouciant qu’à l’époque de l’académie ! C… Comment tu peux si facilement basculer d’un état à l’autre ?!
-Erika a accouché… Tanguy et Valériane sont en bonne santé… Et ils vont tous les trois bientôt sortir de la maternité…  »

Je me redresse une fois mon panier rempli, que je tends ensuite à Oz.

« -Comment ne pas être aux anges ? ♪ »

Il soupire tout en saisissant le panier.

« -Toute cette montée en pression au fils des lunes…. Pour ça… »

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Lissa se penche sur leurs berceaux, un grand sourire aux lèvres. Protégés du soleil par un large parasol, j’ai profité de ma séance de jardinage hebdomadaire et de la visite de leur tante pour laisser les jumeaux prendre l’air.

« -Ils sont si mignons… »

Les mains dans le terreau, je ne peux qu’acquiescer d’un air béat.

« -N’est-ce pas… ? Tu ne trouves pas que Tanguy a le visage de sa mère… ? »

Cela arrache un léger rire à Lissa. Du doigt, elle cherche à titiller leur attention, mais ils sont encore bien trop jeunes pour avoir réellement conscience de sa présence.

« -Maman m’a montré un vieil album photo. Valériane ressemble beaucoup plus à toi lorsque tu étais bambin.
-Vraiment ? »

Tout en dévisageant les petits, ma sœur expire doucement du nez.

« -J'ai encore du mal à réaliser que tu puisses être Papa... »

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Alors que je m’apprête à donner un grand coup de sécateur, Caroline m’arrête brusquement.

« -WOW ! Fais attention… ! »

Je ne réalise qu’au dernier moment que j’ai fini de tailler ce plant, et que je m’apprêtais à couper mon jean. Je cligne successivement des yeux, avant de me passer une main sur le visage.

« -Oof… M… Merci… »

Je pose mon outil, et m’assois un instant. Ma grande sœur s’approche de moi, inquiète.

« -Mon pauvre… Tu as l’air éclaté ! »

Je lève les yeux en direction du ciel, et expire longuement.

« -Pardon. Comme je te disais, Tanguy a eu de la fièvre toute la nuit… Je me suis levé toutes les heures pour vérifier sa température... »

Caroline se fend d’un sourire narquois.

« -… Les enfants, c’est que du bonheur, hmm… ? »

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« -…
-… Crétin ? »

Oz se rapproche de moi, et me hèle, sans que je ne réagisse.

« -Eh, Crétin ? »

Il pose une patte sur mon épaule, et me secoue un peu. En l’absence de résultats plus concluants, il me secoue avec plus de vigueur.

« -EH ! »

Je me réveille en sursaut.

« -Hein, quoi ?! »

J’ai besoin de quelques secondes pour pleinement me réveiller, et comprendre ce qu’il se passe. Mon starter croise les bras, et me toise d’un air circonspect.

« -… Tu t’es endormi dans le terreau. »

Je passe une main sur mon visage, couvert d’une terre brunâtre et granuleuse. Je soupire longuement, et attrape un torchon pour l’essuyer.  Puis je me lève en une longue expiration. Oz me suit.

« -Si Tanguy et Valériane t’empêchent de dormir, pourquoi tu ne les rentres pas dans une Pokéball ?
-… Ca ne marche pas comme ça, Oz…
-Et pourquoi pas ? Maintenant qu’on a repris les entraînements, tu n’as plus beaucoup de temps pour te reposer. Il ne faudrait pas que tu t’épuises de fatigue. »

J’ai un sourire nerveux.

« -Bientôt, ils feront leurs nuits. J’y crois… »  

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« -A…. A Paldea ? »

Lissa acquiesce doucement.

« -Oui. Visiblement, on va dormir dans les dortoirs de leur académie… »

Je lâche ma truelle, et bascule mon dos vers l’arrière. Les yeux perdus dans le vide, je fixe le ciel.

« -Une région ensoleillée, avec de vastes plaines verdoyantes, des canyons parcourus de mille et un tunnels, des villes spacieuses et surtout… Des stands de nourriture… Partout… »

Cela fait rire ma petite sœur.

« -Tu y as déjà été pour un boulot, c’est ça ?… Si ça t’a tant plu, pourquoi tu ne passerais pas nous voir ? »

Je secoue la tête de gauche à droite, dépité.

« -Justement… Je me suis contenté de faire mon boulot, et de repartir. On s’est promis d’aller là-bas avec les enfants quand ils seront en âge d’en profiter… Mais en attendant… »

Je croise les bras, et gonfle les joues.

« -De toute façon, pas vraiment comme si je pouvais prendre des vacances maintenant… »

Lissa a un sourire désolé.

« -Parent, c’est un métier à temps plein… »

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J’utilise la truelle pour rabattre la terre sur la graine que je viens de planter. Caroline débarque pile à ce moment là, une cruche et deux verres dans les mains.

« -Hop ! Voila l’eau fraiche. »

Je la gratifie d’un pouce levé, tandis qu’elle pose le tout sur la table du jardin. Pendant qu’elle nous sert, je frotte mes deux mains entre elles pour en retirer le terreau. Ce n’est qu’une fois cela fait que je viens m’assoir à côté d’elle, et récupérer le verre d’eau qu’elle me tend.

« -Merci ! J’ai cru mourir, avec cette chaleur. »

Elle acquiesce doucement.

« -Ta petiote a pas l’air d’apprécier non plus. Je l’entends criser depuis ton salon…
-Valériane ? Ouais, elle fait ça parfois… »

Après avoir bu, je repose le verre en un soupir.

« -Tu sais, je comprends mieux ce que voulaient dire les parents, quand ils disaient qu’ils peuvent pas avoir de préférences parmi leurs enfants.
-… Comment ça ? »

Je me frotte le front.

« -Bah… D’un côté t’as Tanguy, qui chouine, genre, tout le temps, mais qui le fait de manière relativement discrète… Et de l’autre, Valériane qui pleure plus rarement, mais...  Qui pique de sacrées crises quand ça arrive… »  

Je plisse les yeux.

« -Ben franchement, je saurai pas te dire ce que je préfère entre les deux. »  

Caroline éclate de rire.