GINJI LABELVI

« -Ouiiiii…. Vas-y…. Tu l’aaaaas…  »  

Je tiens la truelle de jardin du bout des doigts. Je l’agite juste au dessus de Tanguy, couché sur le dos, à même sur le gazon. Ses petits yeux bleus tentent tant bien que mal de suivre les mouvements de l’outil. Avec un certain labeur, il tend ses bras pour l’attraper.

« -Allez mon grand, t’y es presque… !  »  

Ses doigts finissent par agripper le manche. En un dernier effort, il l’entoure avec, et saisit la truelle. Je me mets immédiatement à applaudir, mais en douceur.

« -Ouiiiiii ! Bravo Tanguy ! Tu la tiens !  »  

En retrait, Oz nous toise de loin. Il fait un mouvement de balancier avec sa queue pour aider Valériane, lovée dessus, à dormir.

« -Cela fait combien de temps qu’ils sont nés, déjà ?... Trois lunes ? »

Sans détourner mes yeux de mon fils, j’acquiesce distraitement.

« -Seize semaines très exactement. Donc… Ouais, grosso modo, un peu plus de trois lunes.  
-Et… Ils arrivent tout juste à… Tenir un objet ? »

Au moment où il dit ça, la truelle s’échappe des mains de Tanguy. Je n’y apporte aucune considération et le prends dans mes bras.

« -Ouiiiiiii ! Regarde comme il apprend vite ! »

Mais mon starter est plus… Sceptique.

« -Comment ça se fait qu’un Pokémon puisse lancer des attaques dès le jour même de sa naissance… Mais qu’un humain soit aussi lent à évoluer… ? »

Sauf que je ne l'écoute pas vraiment, trop occupé à faire des grimaces à mon enfant.

« -... Enfin, si on peut parler d'évolution... »

GINJI LABELVI

« -Et enfin… Le jardin ! »  

Tout en gardant Tanguy lové dans mes bras, j’incite mon invité à me suivre à l’extérieur. Ce dernier, en découvrant l’endroit, me passe devant en une véritable tempête de pétales.

« -OOOOOH ! Je vois que tu n’as guère perdu la main ! Ces arbustes sont correctement entretenus, et les fleurs de ton plant d’Abriko sont radieuses ! Et… UN INSTANT ! QUE VOIS-JE ? »

En une posture bien trop marquée, Andreas Heartnett s’immobilise devant mes outillages. Il se penche délicatement en avant, et attrape une petite pelle, dont il regarde le manche avec attention. Sa lame est un peu rouillée et la peinture n’est plus de première fraîcheur.  

« -Son logo s’est effacé avec le temps, mais… JE LA RECONNAÎTRAI ENTRE MILLE ! » ému aux larmes, il serre l’outil contre lui « C’est la pelle que l’on offrait aux élèves ayant demandé une serre lors de la première année de l’académie ! Ooooh, mon petit Ginji – je veux dire, mon GRAND Ginji ! Que le temps passe… »

Avec un sourire attendri, je rejoints mon ancien référent de dortoir. Je suis content qu’il ait accepté de venir visiter notre maison. Depuis mon départ de l’académie, les occasions de nous voir sont rares, mais… Je constate qu’il n’a pas perdu de son extravagance, et ce, même après toutes ces années.

« -Andreas, je… Je voulais vous demander quelque chose. »

Le Coordinateur me regarde approcher avec de grands yeux, tandis que pour ma part, mon attention est concentrée sur mon fils, endormi.

« -J’ai beaucoup réfléchi, depuis la naissance de Tanguy. Au début, je pensais demander à mon meilleur ami ou à un membre de ma famille, mais… Plus j’y pense, et plus vous me semblez être le choix évident. »

Je toise Andreas à son tour.

« -Vous avez été à la tête du dortoir Voltali pendant tant d’années… Et c’est sous votre supervision que j’ai passé toute mon adolescence. Vous m’avez… Non, vous nous avez aidé à nous construire, et à faire de nous des adultes. Donc… Je me demandais… »

Je souris nerveusement.

« -Accepteriez-vous de devenir le parrain de mon fils ? Il est encore un peu jeune, mais… Viendra le jour où il deviendra un adolescent, lui aussi, et… A ce moment là… J’aimerai que vous soyez là pour lui, comme vous l’avez été pour moi, pendant ma scolarité. »

Le visage du Directeur du Pôle Coordinateur passe par toute une palette d’émotion. Il écarquille les yeux de surprise, entrouvre la bouche de stupéfaction, porte sa main à cette dernière en assimilant l’information, et finalement…

Les larmes aux yeux, il nous entoure de ses bras, Tanguy et moi.

« -OOOH MON PETIT GINJI ! OUI ! OUI… ! J’accepte ! Bien évidemment que j’accepte ! »

Il s’écarte aussitôt en réalisant qu’il a manqué de réveiller le petit, et reprend avec une voix bien plus basse.

« -Oups ! Pardon, mon filleul ! Tu verras… Tonton Andreas va bien s’occuper de toi… ! »

Son changement de comportement m’arrache un rire.