Au moins. Ils avaient tout deux un air de famille à proprement parler. Ta sœur et ton cousin n’allaient pas réellement s’entendre dans une autre mesure que les affaires familiales. Il faut dire que tu as toujours cédé à Edward pas mal de ses vannes, durant son adolescence, c’était acceptable, dans la mesure où l’on mettait ça sur le compte de sa fougueuse puberté. Mais évoluer au contact d’Elizabeth lui offrira quelque chose d’utile : savoir fermer sa gueule quand les circonstances l’exigent. La réplique de ta sœur est à la hauteur de sa précision, c’est sec, tranchant, incisif, un régale pour les oreilles. Tu as laissé ta sœur gérer, donner le fond de sa pensée, absente du circuit officiel depuis quinze ans, mais elle n’a rien perdu de la fougue et du verbe nécessaire à se faire respecter. Quoi qu’il en soit Napoléon est bien heureux de revoir Joséphine, comme toujours en fait. Ils sont jumeaux, ils ne faut pas l’oublier. Avant de leur demander comment s’est passé leur installation, tu répliques finalement.
-Lorsque le chef de famille demande une réunion de famille, la coutume veut que le ton soit totalement sérieux du début à la fin, c’est qu’Elizabeth tenait à te faire comprendre. Tu bois une gorgée. Ils vont t’en donner du boulot ces deux là. Par chef de famille, je sais que le terme est excessif puisque mes parents sont encore et toujours en vie.
Néanmoins, aux propos d’Edward, ton sang se glace, ton regard dérive instantanément dans ceux de ton cousin. Ta jumelle a réagit de la même manière, mais dans ta position actuelle, elle n’est plus dans ta vision périphérique. Cette nouvelle par contre te déplaît lourdement. Il y a un silence extrêmement pesant, de longues secondes de silence que les justifications d’Edward ne saurait briser. Tu te rends compte qu’en toi coule un sentiment que tu n’espérais pas connaître : la déception. Ton corps se crispe de plus en plus. Les mots incisifs de ta sœur prennent les devants. Tu n’as jamais eu son franc parlé, tu préfères induire et faire accepter aux gens d’eux-mêmes qu’ils ont échoués, mais le résultat est le même. Elle ne s’adresse même pas à lui, ce ne sont que des questions rhétoriques, on dirait qu’il n’est déjà plus de la famille à l’entendre. Au fond de toi, connaissant Edward pour ses maladresses répétées avec les femmes à cause de son caractère blagueur et spontané : elles s’attachent, et une femme amoureuse, c’est toujours un problème à gérer. Elizabeth à raison, ça ne s’est jamais vu avant, du moins pas depuis quelques générations.
Le verre de ta sœur implose sous la pression, tu déposes le tient sur la table, il est fissuré, tu saignes, certes, le sang coule doucement sur tes doigts entaillés. Voilà qui va t’emmerder pour quelques jours. Tu prends ton mouchoir en soie pour t’essuyer après avoir mis de l’alcool à 90° pur sur le mouchoir et de t’entourer les doigts, la douleur est là, mais tu fais ça sans un bruit, pas même une expression faciale, ton regard est glacial et il ne quitte pas celui d’Edward. Tu entends Napoléon grogner, lui aussi à très bien comprit le problème, lui aussi sait ce que cela implique. Elizabeth finit par aller dans les toilettes afin de soigner la plaie. Tu fais quelques pas à ton bureau pour te saisir justement d’un calendrier et tu lances un signe de la tête à Napoléon pour qu’il vienne te le tenir.
-Donc. Si je comprends bien et si je récapitule bien, entre ton arrivée sur Cobaba le 15 juillet 2018 et aujourd’hui 3 octobre 2018, donc environ deux mois et demi, un peu plus si nous sommes pointilleux, tu es en train de me dire que tu as : premièrement, rencontrer une femme. Deuxièmement, qu’elle disposait d’un Q.I dépassant le prix d’une baguette. Troisièmement, tu t’es mis en couple avec sans en parler à personne. Lentement, tu tournes les pages du calendrier, laissant ton doigt parcourir chaque jour de cette courte période. Quatrièmement, que tu lui as tout balancé et qu’elle t’as sauté à bras ouverts, pas que les bras par ailleurs. Tu arrives au moins de septembre. Dernièrement, vous allez emménager ensemble et… vous marier ? Car le mot « femme » n’a rien d’anodin, je me trompe ? Tu fais une pause, applaudissant brièvement ton cousin. C’est tout simplement brillant d’irrespect pour toutes nos putains de traditions. Tu marches lentement, prenant un nouveau verre et le remplissant pour le boire. Mais le pire dans tout ça… c’est que pour un cul motocultable, tu nous fais du chantage ? Nous ? Ta famille de sang ? Je trouve que cette situation, venant de notre taupe dans la police très drôle, vraiment Edward, je suis impressionné. D’autan plus que si elle habite chez toi, et comme j’ai vos adresses, à Elizabeth et toi, que vous avez la mienne, juste histoire qu’on s’appelle ou qu’on se rejoigne en cas de problèmes… Si tu meurs maintenant, j’aurai tout le loisir de finir le travail chez toi. Donc si tu ne reviens pas, elle n’aura pas réellement le temps de s’inquiéter pour toi.
Tu viens t’asseoir face à lui, tirant la chaise en bois sous le portrait des arrières grands-parents et leurs proches jusqu’à toi. Tu prends donc la bouteille de liqueur, le silence s’est fait de nouveau roi. Ça n’a rien de connu, mais lorsque tu l’ouvres, tu exiges qu’on la ferme, tout particulièrement lorsque tu as écouté tout le monde en silence. Tu fais sauter le bouchon en liège dans un bruit proche de la détonation d’une arme, cette giclée soudaine du bouchon qui vient frapper le plafond comme une balle en plein cœur.
-Je vais illustrer la situation actuelle. Vois-tu… Tu commences à remplir un verre vide. Ça, c’est la confiance qu’on porte normalement. La confiance est un liquide qui se gagne au fur et à mesure, comme un verre qu’on remplit, il se remplit progressivement, lentement. La confiance est comme un alcool difficile à produire : il met beaucoup de temps à remplir sa bouteille.
Tu remplies ensuite le verre d’Elizabeth, du moins le peu qui en reste, le verre brisé et plein de sang agonise sur la table. Le liquide coule sur la table, se mêlant au sang, venant contre le carrelage.
-Ça, c’est la confiance qu’Elizabeth te porte. Aucune. Celle-ci est brisée, elle ne te demanderait même pas de ramasser la merde que Joséphine laisse au sol. Elle est détruite, comme ce verre.
Tu passes à ton verre, le liquide remplit progressivement le verre, mais suite à la pression il y a quelques brèches, l’alcool commence à couler le long du récipient.
-Voici à présent la confiance que je t’accorde. Je te connais bien Edward, Elizabeth elle juge froidement d’après les valeurs de la famille et une très mauvaise impression que tu lui laisses. Ma confiance s’en retrouve lourdement ébréchée. C’est un peu comme si tu venais de tuer mon propre enfant, mais pas pour la famille, juste pour toi. La confiance, c’est l’enfant le plus cher au monde, car il ne demande pas de sperme, juste des preuves. Dans la famille, chacun donne des preuves de confiance. J’aimerais que tu essaies de boire avec chacun de ces trois verres et que tu me donnes tes impressions sur la dégustation. J’aimerais que tu me dises si tu es confiant quand tu prends mon verre en main ou celui d’Elizabeth.
Le silence redevient pesant. Il se passe quelques secondes avant que tu ne te décides de reprendre. Normalement tu as ta langue dans ta poche, laissant Lizzie gueuler à ta place. Mais dans les situations exigeantes : tu l’ouvres. Face à la perpléxité de ton cousin tu tends une main vers les trois verres, avec la même voix piquée de sarcasme.
-Essaie donc Edward
Tu laisses de nouveau de très longues secondes.
-Un verre, c’est aussi quelque chose qu’on change. Ça n’a rien d’unique. Alors lui, tu pointes le verre d’Edward, ou celui-là, tu pointes ton nouveau verre intact. Quelle différence ? S’il disparaît, j’en prendrai un autre et il gagnera son droit d’être rempli de ma confiance.
Cette longue métaphore sur la mort des traîtres dans de la famille s’est déjà vérifiée. Les carnets des veilles générations mentionnent explicitement la mort de plusieurs personnes ayant trahi la famille. Tout du long, une ambiance glaciale s’est installée, pourtant il y a deux gros Pyrax bien en colère dans la pièce.
-Je veux : son nom, prénom, âge, profession, ambitions. Lieux de naissance, profession de ses parents et groupe sanguin. Tu as d’autres choses à ajouter Reece Edward ? Rentre autant que possible dans les détails de cette aventure que tu as entreprise, qui, je pense, si tu suis notre principe de base: la famille. Tu te sacrifies en te mettant avec elle? En quel honneur? Quels sacrifices que de se mettre avec la femme qu'on rencontre deux mois auparavant?
Henry fume en C0756B
Merci Ida pour le Mood Board :