«T’es certain qu’on s’en va dans la bonne direction Fester? Parce qu’à moi, on dirait bien qu’on s’est perdus.»
Avec une étincelle d’amusement, je jette un regard au Grahyèna qui ouvre la marche avec l’assurance des plus grands leaders. Ce qui manque néanmoins à mon plus fidèle compagnon, c’est le sens des directions. Sous son commandement, j’ai très souvent l’habitude de me perdre même les rues de ma ville natale. Depuis le temps, il faudrait croire que j’apprends de mes erreurs à faire confiance en le canidé pour me guider. Néanmoins je suivrais mon ami à la plus profonde extrémité de la perdition s’il le fallait; je ne redoute absolument pas les aventures que ses étourderies nous causent nécessairement. Même que je les apprécie, laissant le bitume courir sous mes semelles et la confusion envahir de plus en plus mon camarade. Fester a toujours honte de faillir à sa tâche sauf que je ne vois pas les choses ainsi. Se perdre a quelque chose d’excitation à mes yeux, comme un grand coup à la porte d’un destin dont j’ignore le déroulement. Tandis que les boutiques passent sans se ressembler, je le rassure d’un énième sourire. Sa moue défaite me tire un rire et je m’accroupis à ses côtés pour lui caresser la nuque en guise de pardon. Même si au final il n’y avait absolument rien à pardonner. Le chien m’offre une léchée désolée, rassuré malgré lui par mes caresses.
Nous nous trouvons dans un quartier plutôt marchand de la ville, cumulant de jolies boutiques à l’aspect plutôt chic. Ce qui explique probablement pourquoi je n’y ai jamais posé les pieds auparavant : je n’ai pas les moyens d’aspirer y être un client avec mon salaire de recrue. J’ai néanmoins confiance qu’en descendant l’allée que nous retrouverons le chemin vers les artères plus passantes et donc ce marché que je tente de trouver. Je me redresse donc avec cet objectif en tête quand je remarque l’absence d’un poids familier contre mon dos. Effectivement, Dawn ma Larvibule s’y tenait quelques instants plus tôt, dans son positionnement favori : le plus près possible de moi. Après un rapide examen du reste de mon corps, je constate son absence. Or, la seule femelle de mon équipe n’a guère l’habitude de s’aventurer hors de ma protection explicite. Avec un brin d’angoisse, je consulte les environs à la recherche de sa carapace blanche. Un bruit de clochette non loin attire mon attention assez vite pour que je puisse apercevoir ma chère amie entrer dans l’une des boutiques. Sans réfléchir, je me précipite à sa suite et entre à mon tour, suivi bien sûr de Fester qui couine d’inquiétude.
Il s’agit d’une boutique de vêtements sur mesure, du genre que je ne pourrais certainement pas me payer. J’ai la crainte d’y faire un mauvais coup sans le désirer… Il y a tellement d’occasions ici d’étaler ma maladresse! Aussitôt en alerte, je me juche presque sur mes orteils afin de me mouvoir en toute délicatesse dans la boutique, tentant par le fait même de repérer la Larvibule. Heureusement, je l’aperçois aux pieds d’une très grande jeune femme (presque aussi grande que moi à vrai dire). Je récupère mon alliée rapidement, la tenant contre moi en réalisant l’angoisse que je ressentais… Dawn m’a habitué à sa présence si bien que les rares moments où elle s’éloigne, j’ai tendance à paniquer un peu.
«Désolé madame, ma Larvibule n’a pas tendance à s’éloigner ainsi, désolé si elle a été un prob…»
Je m’interromps en scrutant le visage de l’employée de la boutique. Il m’est étonnamment familier, voire davantage. Certainement, je l’ai déjà croisée quelque part. Je mets quelques instants un peu gênants à recoller les morceaux de ma mémoire quand l’éclair me traverse.
«OH! Marie Akabara! C’est Ely, tu me reconnais?»
Notre rencontre remonte à six ou sept ans. À l’époque, je voyageais à travers le monde et j’ai fait la rencontre de Marie en plus de bien d’autres. Nous avons voyagé quelque temps ensemble. Nous étions plus jeunes à l’époque. J’étais un grand gringalet, je n’avais pas encore teint mes cheveux en blanc.
«C’est dingue, ça fait des années qu’on ne s’est pas vus, mais j’ai rien oublié de notre voyage ensemble! Tu fais encore de la Coordination? Ça fait longtemps que tu es ici à Adala? Oh, Dawn, tu l’as reconnue c’est pour ça que tu es entrée dans la boutique hein?»
L’insecte hoche la tête tout en s’accrochant à mon bras qu’elle ne quittera plus désormais. Son regard surveille tout de même la jeune femme à la chevelure rose, une certaine joie l’habitant face à ce visage familier.
La nostalgie m’étreint telle une vieille amie. Je l’accueille avec humilité et même enthousiasme malgré la complexité de cette émotion. Je n’apprécie pas toujours être confronté au passé; même que je suis de ceux qui préfèrent scruter obstinément l’horizon plutôt que de regarder vers l’arrière. Pourquoi s’intéresser de trop près à ce qu’on ne peut réécrire de toute manière? Cette attitude m’a probablement beaucoup nuit par le passé, permettant à certaines douleurs de gangrener plutôt que de guérir, mais ici je n’ai aucun regret. Marie n’est pas source de tristesse pour moi, mais bien de nostalgie. Il me manque cette période où je n’étais qu’un adolescent un peu paumé, avec ses grandes ambitions. Avec tout ce temps pour voyager, découvrir, apprendre. Plus je vieillis, plus l’impression m’emporte de toujours courir après la montre, pour finir essoufflé et confus du temps qui a passé. Un peu comme aujourd’hui je suppose. Est-ce possible vraiment que notre dernière rencontre remonte à plus de six ans? Marie n’a plus rien de l’adolescente que j’ai connue. Dans tous les cas, je ne m’attendais pas du tout à la retrouver ici. Je suis soulagé de voir qu’elle m’a reconnu elle aussi et me salue avec enthousiasme. J’ai l’impression de retrouver une part de cette meilleure époque de ma vie, de ce grand voyage. Dans le temps où j’étais toujours avec Maryna aussi. Même si notre rupture remonte désormais, j’y repense toujours avec une pointe d’amertume.
«Changer un peu de métier? Wow, je suis surpris, tu étais vraiment très passionnée par la Coordination et douée en plus! Tu te souviens quand tu as tenté de m’apprendre à faire de la Coordination?»
J’éclate d’un rire franc en revivant mes échecs répétés. Je n’ai pas la patience et la délicatesse requises pour les prestations. Ou quelque grâce qu’il soit. Puis pour ce qui est de Fester, qui vient à présent renifler Marie, il est trop énergique et réactif pour la Coordination. Malgré tout, j’ai bien apprécié ces moments avec elle et aussi la regarder se produire. Je suis un peu déçu qu’elle aille changé de métier, sans toutefois juger d’avantage. Elle a probablement ses raisons après tout. Puis j’ai moi-même choisi de me réorienter alors que j’étais si certain de faire le meilleur choix.
«En fait, je suis né ici à Adala. Après mon voyage, je suis revenu ici pour étudier puis baaaaah me voilà!»
Je sursaute à l’approche d’un gigantesque serpent que je mets un moment à reconnaître. Mais oui, c’est bien Majesty qui se tient devant moi. Comme elle porte bien son nom maintenant qu’elle est totalement évoluée! Fester s’approche d’elle prudemment pour la saluer, intimidé par son aura de puissance. Clairement, il s’agit d’un Pokémon avec qui il vaut mieux ne pas trop se prendre la tête.
«C’est vraiment incroyable, félicitations pour l’évolution Majesty! Tu as de quoi être fière, on dirait que tout votre travail a payé le prix.»
Je caresse comme par réflexe la tête du Grahyèna, en me rappelant sa propre évolution. C’était peu de temps avant que je parte pour ce long voyage, une journée d’été très ensoleillée. Son pelage m’a alors semblé prendre feu.
«Tu travailles ici du coup? Tu termines bientôt? On pourrait peut-être aller prendre un café pour discuter et rattraper le temps perdu? J’ai plein de questions à te poser!»
Je gigote come un enfant excité, suscitant de nombreux regards de la part de quelques clientes de la boutique. Clairement, je fais tache avec mon jacket de faux jean, mon bonnet gris et mes baskets troués. Je leur adresse un petit sourire désolé en coin, je n’avais pas l’intention de troubler la quiétude de la boutique de mon énergique présence… Je ne fais pas exprès promis.
Je ne réalise pas toujours que mes mots peuvent manquer de discernement ou de délicatesse. En soulignant le talent de Marie, je n’ai pas pensé même une seconde que ce changement de voie a pu être douloureux pour elle et que ce sujet pourrait s’avérer épineux. Au contraire, j’ai pensé lui faire plaisir. Heureusement, elle ne réagit, saisissant plutôt mon brin d’humour. Devant sa réaction, je ris de plus belle. Je n’ai pas de prétention dans la vie et je rigole sans mal de mes propres faiblesses. J’ai toujours su qu’une voie artistique ne me correspondait pas. Je n’ai pas assez de retenue, pas assez de concentration pour faire quelque chose de l’ordre de Marie en Coordination. De la même manière que je ne pourrais jamais m’illustrer comme un grand dresseur non plus je crois. Je me perdrais moi-même dans ma propre stratégie. Il vaut mieux oublier ! De toute manière, j’ai jeté toute mon attention sur la magnifique Majesty. Connaissant le serpent, il vaut mieux que Fester la laisse tranquille mais comme d’habitude son enthousiasme prend le dessus. En surprenant le regard hautain du Pokémon Plante, il s’interrompt néanmoins, la queue basse, pour revenir dans mes pattes. Je lui caresse la tête avec amusement. Il se fera des amis plus tard.
«Bah en tout cas félicitations ! Après le temps, j’aurais cru que Dawn évoluerait mais elle ne semble pas vraiment pressée. Pas qu’elle aille à le faire, je l’aime beaucoup comme ça.»
Pour appuyer mes dires, je caresse la tête de la Larvibule. Je n’ai jamais compris l’obsession de certains dresseurs de faire évoluer à tout prix leurs alliés. Personnellement, je m’en fiche totalement, tant qu’ils sont bien sous leur forme actuelle. C’est pareil pour Churro aussi. Je laisse l’Evoli choisir son évolution finale. Après, je gérerai le reste. Parmi mes compagnons, c’est lui que j’estime qui a le plus de chances d’évoluer rapidement. Je reviens au moment présent pour me concentrer sur Marie. Elle dit qu’elle va faire un stage ici. Je vois qu’elle aussi débute dans son domaine. A-t-elle l’intention de grimper les échelons dans le domaine de la mode? Je ne serais guère surpris en connaissant la détermination de la jeune femme et son grand intérêt pour tout ce qui est artistique.
«Super, j’espère que tu seras prise ici aussi ! J’ai bien envie d’un croissant et d’un bon café personnellement.»
Je lui emboîte le pas à l’extérieur, tout de même heureux de quitter la boutique. Je ne crois pas que j’y étais franchement la bienvenue avec mon équipe de joyeux lurons, ma voix forte et mon trop-plein d’énergie constant. L’air frais me fait le plus grand bien, d’autant plus que j’ai le loisir de le partager avec une vieille connaissance. Celle-ci en profite pour faire la conversation en m’interrogeant un peu sur ce que je deviens depuis le temps. Il est vrai que nous avons discuté d’elle surtout, mais pas de moi. Il me semble que notre rencontre remonte à une autre époque de ma vie. Avant que bien des choses ne se produisent. Pendant un moment, j’observe mon interlocutrice avec une grande confusion : je ne sais même pas par où débuter.
«Eh bien euh… J’ai voyagé encore un temps après notre séparation, je suis rentré à Adala et j’ai entamé des études pour devenir enseignant. J’ai presque complété mon cours là-dedans mais je me suis rendu compte que c’était trop difficile, puis on venait de se séparer Maryna et moi… E-enfin voilà, du coup j’ai lâché et baaaah maintenant je suis recrue de l’armée. J’espère devenir soldat rapidement.»
Je souris. Ces dernières années n’ont pas été exactement faciles et sans contexte elles deviennent ardues à raconter simplement. Là encore, je n’ai pas parlé du décès de mon père, mais pour bien comprendre il faudrait qu’elle en connaisse plus sur mon parcours intime, ce que je ne suis pas nécessairement prêt à partager.
«Toi tu habites avec ton amoureux et ta sœur? Ça fait longtemps que tu es avec lui? Ça me manque un peu la vie de couple mais on dirait qu’il y a toujours beaucoup trop à faire pour se mettre à chercher. Je me dis que le jour où je voudrai quelqu’un dans ma vie, que j’aurai un signe ou un truc du genre.»
Je souris d’un air débile comme le gros romantique fini que je suis. Nous entrons dans un café aux odeurs alléchantes. L’air sent le café fraîchement moulu et le lait chaud. Je m’empresse de commander un latte pour moi ainsi qu’un croissant qui me fait de l’œil dans la vitrine.
«Et toi tu prends quoi Marie? C’est moi qui invite!»Hors Jeu :Je suis vraiment désolée pour l'énorme délai :/
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