Chère Azulis,
Tu es de ces gens qui ne possèdent la gloire d'avoir eu une vie extraordinaire - qui plus est, à proprement parler, ta vie n'est qu'à peine entamée. Et malgré tout, il y a des choses dont tu pourrais te plaindre si tu avais ne serait-ce qu'une oreille attentive pour tes divagations de jeune adolescente ; la première étant que tu n'aimes pas les Pokémons plus que ça, à l'exception faite de Cassis. L'inverse est d'ailleurs valable. Pour la simple et bonne raison qu'ils te foutent une peur effroyable - tu t'attends toujours au pire avec eux ; ne rien pouvoir contrôler sur la situation te fait peur, ne pas pouvoir leur parler te fait peur, ne pas pouvoir les comprendre te fait peur - un vrai cauchemar. Mais tu n'abandonneras pas pour autant - courageuse petite princesse que tu es. Issue d'une famille on ne peut plus prestigieuse du domaine médical et technologique, tu n'as jamais manqué de rien - nourriture, draps, vêtements, jouets, au moindre mot chaque souhait était exaucé ; sauf un pour lequel tu aurais au final tout donné - on est toujours insatisfait. Tu aurais tout fait pour un peu de temps avec tes géniteurs - ils t'aimaient et toi aussi ; plus que tout, même. Mais c'est leur manque de présence due à leur travail qui a forgé ce petit être qui veut donner plus que ce qu'il ne possède au point de s'en rendre malade - parce que tu veux les rendre si fiers, tu veux voir l'admiration dans leurs yeux le jour où ils poseront une main dans tes cheveux blonds que tu tiens d'eux et jamais oh jamais non pitié
tu as si peur de les décevoir.
Pourtant, rien ne serait probablement arrivé vu l'amour qui t'est porté - non, tout vient de ta tête ; et de leurs bouches. Tu te souviens si bien - trop. Leurs sourires, le son du papier qui se déchire, la sensation des sanglots étranglés au creux de ta gorge et la main qui tirait tes cheveux ; le bord de tes lèvres légèrement écorché, la sensation de brûlure sur tes doigts tremblants, les spasmes qui prenaient ton être entier et leurs mots qui déchiraient tes tympans comme une risible symphonie qui chanterait à jamais dans ton être ;
hérésie. Tout n'était qu'hérésie, tout n'était pas si rose. Tout n'était pas à portée de tes doigts, de tes rêves - de ton avenir ; tu n'étais rien, un petit grain de sable parmi tant d'autres, une poussière qui ne se démarquerait jamais de l'énorme tas qu'elle constituait. Pas sans effort ; peu importe l'argent, peu importe le savoir, peu importe l'héritage - il n'y a que la force qui compte.
Et toi petite princesse qui de son lit à baldaquin d'un bleu chatoyant rêvait de parcourir les terres de son royaume à la recherche de son prince, tu es tombée de la tour de ton château pour t'écraser dans le monde des grands. Le monde si brute, si noir, si violent - tu les hais, les adultes - tu ne peux plus leur faire confiance depuis. C'est la peur - si perfide oh si sombre qui te ronge depuis lors ; qui parcourt ta peau dans des milliers de frissons pour mieux te bouffer sous leur regard qui t'oppresse et t'agresse - et tu sens ton coeur s'emballer quand tu penses à ce lendemain et à celui d'après et toujours plus loin que tu veux vivre comme aujourd'hui ; avec insouciance, inconscience, innocence et espérance.
Père, mère,
Je ne veux pas grandir
Dans la peur de perdre mon enfance.
Et toi éternelle indécise qui ne savait quelle route choisir après la chute de ton trône, toi qui étouffais dans ce royaume peuplé d'adultes aux regards trop intéressés, aux sourires trop hypocrites et aux rires sardoniques tu as voulu fuir - tôt, jeune, petite princesse abandonnant son futur de reine qui pourtant au fond lui était si facilement accessible. Tu as préféré ces difficultés que l'on a encrées dans ta tête de gamine à un chemin sans embûches, sans défi, sans emmerdes qui pourraient réduire à néant tes efforts, un chemin rempli de certaines de tes peurs - une école, des études, des adultes - à quoi t'as pensé, Azulis ? A rien, comme toujours évidemment.
Mais quelque part, loin de ton château tu respires un nouvel air - une nouvelle ère ; tu découvres ces terres que tu rêvais de parcourir dans tes songes les plus lointains et oh Azulis ta curiosité grandit de jour en jour sans jamais bien vouloir se rassasier - insatiable ; savoir. Et quand bien même es-tu insatisfaite et plus incertaine et floue que jamais, parmi les embûches et les notes qui tombent de tes livres, tous ces êtres qui parcourent ton chemin, tu découvres et savoures.
Père, mère,
En fuyant votre absence
J'ai appris le sens du mot liberté.