réunion parents-profsfamily line - conan grayC’est une vision presque devenue commune pour Léon cette dernière année. Depuis qu’il s’est mis d’accord avec Belladonna pour prendre le tutorat de la jeune Magnolia Jones, elle se retrouve régulièrement assise en face de lui dans son bureau de la Maison Voltali. C’est parfois pour demander un éclaircissement sur une notion vue en classe, parfois pour un assignement de mission, parfois pour un compte-rendu, souvent pour demander des devoirs supplémentaires, bref, la présence de la petite Mentali est devenue régulière au point où il sait qu’elle a un fauteuil préféré. Sa petite moue embêtée quand Itzan le prend lors de leurs apparitions en duo ne le trompe pas.
Aussi, c’est peut-être le fait qu’il se soit autant habitué à sa posture décontractée, ses sourires légers et son sarcasme de plus en plus piquant avec sa grandissante confiance qui rend la situation d’aujourd’hui aussi frappante.
Elle est rigide. Assise au bout de sa chaise, les mains délicatement posée sur ses genoux, le dos parfaitement droit, elle a rivé son regard sur un point arbitraire quelque part au-dessus de son épaule. Pour la majorité de ses élèves, il supposerait que c’est une question de trac, de nerfs. Il faut dire que quand bien même cette réunion parent-prof est là principalement pour rassurer les parents face aux mesures de sécurité prises, elle est également là pour faire le point en direct, sur les avancées des élèves. Et ça n’arrive pas souvent à la PC. Les communications avec les parents sont rares et souvent faites par téléphone ou par mail. Pouvoir interagir ainsi directement avec les parents est un plaisir dans la majorité des cas.
Puis il y a les cas comme Magnolia.
Sa posture et le vide de son regard sont d’autant plus flagrant face à la nonchalance de l’homme qui l’accompagne. C’est peut-être son propre statut en tant que père mais il se refuse à nommer Jack Jones comme étant le père de Magnolia. Il s’est avachi sur la chaise dès son arrivée, sans se présenter ou dire bonjour. Il traîne autour de lui une légère odeur d’alcool et de quelque chose d’autre que Léon ne veut pas identifier et il rive parfois un regard dérangeant vers sa fille.
En tant que professeur, Léon a le devoir de protéger ses élèves. Si il avait ses suspicions envers l’enfance de Magnolia et le rôle de ses parents dans tout ça, elles se confirment tragiquement. Magnolia est une jeune fille courageuse et forte. Il ne l’a jamais vu reculer face au danger, elle y va même de manière assez volontaire en général. Elle garde la tête sur les épaules mais n’a pas peur du risque, ce qui fait d’elle une élève tout à fait adaptée au parcours Agent. Pourtant, aujourd’hui, cette homme emmène par sa simple présence des réactions jusque-là jamais vu dans sa jeune élève.
Si ses mains sont fermement serrées l’une contre l’autre, rassemblée sur ses cuisses, il ne faut pas être un maître observateur pour constater qu’elles tremblent un peu. Il n’en faut pas beaucoup pour remarquer que dès que Jack hausse le ton, la jeune fille se renferme sur elle-même, sursaute et tente même parfois de lever un bras. Comme si elle voulait se protéger. Dévier un coup.
Ça n’est, évidemment, pas le premier cas d’abus que Léon constate dans son parcours en tant qu’éducateur. Il a malheureusement eu l’expérience d’en avoir eu quelques-uns. C’est quelque chose qu’il est plus confiant à traiter depuis son arrivée dans le corps professoral de la PC. Déjà, il est entouré de collègues qui prennent ces cas tout aussi sérieusement que lui. Et surtout, avec sa structure d’internat, la PC coupe ces enfants de leurs parents toxiques et leur offre un refuge. Il n’a pas poussé plus loin avec Magnolia jusque-là parce qu’elle n’a fait que des progrès depuis son arrivée et n’a pas mentionné une fois l’envie de rentrer chez elle.
Il a voulu lui laisser le temps de s’acclimater à l’académie et de couper, peu à peu, tous les ponts avec sa famille.
Maintenant qu’il est là comme une ombre funeste sur le futur si prometteur de Magnolia, avec ses remarques acides et sa nonchalance insultante face à l’impressionnant parcours de la jeune fille, Léon ne sait pas exactement ce qu’il peut faire dans l’instant. Si il s’écoutait, il dégagerait l’homme de son bureau, de son île et de la vie de son élève. Malheureusement, il n’en a pas le pouvoir. Ce genre de cas est toujours complexe. Il faudrait que Magnolia accepte de parler puis il faudrait voir comment gérer la situation. Est-ce qu’elle se retrouverait légalement liée à un foyer ? Est-ce que la PC peut prendre le tutorat légal complet d’un de ses élèves ? C’est des questions dont Léon ne connaît pas la réponse. Cependant, il sent qu’un rendez-vous avec Ilea s’annonce.
L’entretien arrive à son terme et Magnolia ne s’est pas détendue d’un fil. Il a du mal à la laisser partir sur l’île avec cet homme sans personne pour garder un œil sur la situation. Surtout qu’il remarque sans mal l’étincelle mauvaise qui semble naître dans le regard de Jack quand il comprend qu’ils en ont bientôt fini.
Quand il se lève et qu’il va pour poser, comme d’habitude, une main affectueuse sur l’épaule de Magnolia, elle sursaute violement et se décale, esquivant le contact, les yeux rivés sur le sol, les épaules serrées et les mains fortement enfoncées dans ses poches. Léon inspire profondément et ferme les yeux l’espace d’une seconde. Il ne retente pas de toucher la Mentali préférant la guider à distance vers la porte, se plaçant en directe barrière entre elle et Jack.
En ouvrant la porte, il pousse un soupir soulagé en constatant qu’Itzan et sa mère ont visiblement attendu la rose quand ils ont constatés qu’elle passait juste après eux. Il n’est pas bien étonné, les deux adolescents sont devenus proches et sont souvent l’un avec l’autre. Il jette un regard à Madame Xoaelteno, lui confiant sans un mot la garde de la jeune fille. Cette dernière ne réagit qu’à peine à l’approche de son ami, les yeux rivés sur le sol.
Léon aimerait faire plus mais en l’état, tout ce qu’il peut faire, c’est s’assurer qu’il y a un autre adulte de confiance pour faire les garde-fous et continuer de recevoir ses élèves.
✩✩✩
C’est pas que Magnolia a peur. C’est que Magnolia est terrifiée.
La PC est devenue au cours de l’année qui vient de s’écouler un véritable refuge pour elle. Un endroit où elle se sent en sécurité. Un endroit où elle peut se relâcher et se concentrer sur ce qu’elle veut devenir. Alors oui, parfois, il y a des groupes terroristes qui menacent sa nouvelle maison mais se battre pour la PC est quelque chose que Magnolia fait avec plaisir et devoir.
Le voir envahir son espace ? C’est immonde. C’est le clash de deux mondes qui ne devraient jamais, jamais, se croiser. Elle ne veut pas de lui ici mais elle est incapable de lever les yeux pour croiser son regard. Elle est tendue et aux aguets et affreusement sur la défensive. Ce matin, lors du petit déjeuner, elle a été glaciale, prononçant à peine un mot du repas et depuis qu’
il est là ? C’est le silence.
Ils viennent de sortir du bureau de Monsieur Nahr et pour être honnête, Magnolia n’a pas entendu un mot de toute la conversation. Elle a probablement été affreusement impolie avec son professeur préféré mais elle est tout simplement incapable de faire passer des mots au-delà de la boule dans sa gorge. Et le pire dans tout ça ? C’est qu’avec Monsieur Nahr, au moins, elle se sentait protégée. Elle lui fait tellement confiance qu’elle ne doute pas qu’
il ne peut pas la toucher. Maintenant qu’il a prit une nouvelle famille dans son bureau ? Elle est seule. Seule avec
lui et elle a toujours été incapable de se défendre face à
ses assauts.
On l’interpelle avant qu’
il ne puisse l’entraîner quelque part où ils ne seront pas dérangés. Magnolia lève légèrement les yeux pour croiser le regard d’Itzan. Elle écarquille les yeux. Non. Il doit pas venir à côté de
lui. Il faut qu’il parte et qu’il ne s’approche pas. Il faut qu’il la laisse seule. Elle a l’habitude et Itzan, Itzan il peut pas faire face. Elle ne veut pas qu’il fasse face. Elle tente de communiquer du regard qu’il doit s’éloigner et la laisser.
Elle sait que trop bien l’image qu’
il renvoie avec ses cheveux trop longs et ses habits mal lavés. Maintenant qu’elle n’est plus à la maison, elle n’est même pas sûre de comment
il survit. Sans elle pour cuisiner et nettoyer et renvoyer les factures, elle ne veut même pas imaginer l’état de leur petit appartement. Elle
le sent d’ici, cette odeur qu’elle avait finit par ne plus sentir. Mélange de crasse, d’alcool et de beuh,
il fait peine à voir.
Il est pathétique et elle l’est encore plus d’être aussi terrifié.
Elle sait aussi qu’Itzan est inquiet parce que cette rencontre parent-prof veut probablement dire que la mère de Lyria est là, avec sa fille et qu’elle peut glisser son poison dans les oreilles de la rouquine et ciel, elle veut l’aider à gérer cette situation mais elle est pieds et poings liés par l’ombre de son père.
Du coin de l’œil, elle le voit observer l’arrivée d’Itzan et de la jolie femme qui est probablement sa maman. Elle voit sa frustration d’être interrompu dans ses plans. C’est un regard qu’elle connaît bien. Il n’a jamais été très malin. Elle voit le regard curieux d’Itzan et de sa maman et
il fait un signe de la main. Des présentations. Elle doit faire des présentations mais c’est … dur de parler.
- Toujours aussi incapable hein ? Il a beau dire des jolies choses ton Monsieur Nahr, t’as pas changé. C’est pas si dur de présenter ton père, hein ? Jack. Ses mots sont pas vraiment distincts, ses phrases s’embrouillent les uns dans les autres, mélange d’alcool et d’un commun trop rarement utilisé. Magnolia ferme les yeux. Elle a peur et honte et elle veut que tout s’arrête. Pour autant, elle n’arrive toujours pas à parler. Elle a beau ouvrir la bouche et la fermer. Elle a beau tenter de former des mots, aucun son ne passe et elle est là, figée, les yeux blessés face à son grand secret.
Révélé devant tout le monde.