Sans l’intervention de Fàfnir, restée veillée exceptionnellement avec la blonde ce soir, Ranya ne se serait sans doute jamais rendue compte que quelque chose se tramait à l’extérieur. Ses écouteurs sur les oreilles, la jeune femme alternait entre exercice de souplesse et peintures aux murs, plongée dans sa bulle grâce à la musique. Mais, sans doute que l’instinct de la spectre s’est affollée, elle a refusé de rester dans sa pokeball ce soir. Une décision contre laquelle l’archéologue n’a pas lutté. On ne donne pas d’ordre à Fàfnir, c’est ma règle.

Parce qu’on ne donne pas d’ordre à sa mère.

Alors, lorsqu’au milieu d’un geste gracieux, la spectre s’est étonnement rapprochée du visage de la Givrali, cette dernière n’a eu d’autres choix que de retirer ses écouteurs pour comprendre ce qu’il se passait.

— A quoi tu joues Fàfnir ?

La Magirêve chromatique n’en dit pas plus, et se contente d’attendre, mouvant son corps vers la fenêtre de la blonde. Avant même d’apercevoir l’extérieur, Ranya entend des choses. Des sortes de bong puissant. Comme un signal de ralliement classique de certaines grandes cérémonies. Il n’en faut pas plus pour piquer la curiosité de la danseuse qui ouvre sa fenêtre pour s’y pencher. Le spectacle est aussi intriguant qu’étrange. Dehors, des personnes tenant des torches se rassemblent et s’éloignent du campus. Pour la plupart encapuchonné dans de grandes robes cérémoniales, leurs mouvements semblent parfaitement calculés, menant les plus curieux à l’extérieur du parc derrière le foyer Nymphali.

Et même si Ranya n’est pas un pokemon, elle a tout de même un esprit de logique et de déduction.

— J’imagine que tu as senti ta congénère aussi n’est-ce pas ?

Fàfnir hoche simplement la tête, intimant par la même occasion à Ranya sa volonté de les suivre. Evidemment, c’est tout à fait dans le style d’Aniline ce genre de chose. Et sa Magirêve la suit surement comme son ombre. Bien décidée à ne pas perdre une seconde de plus, la blonde enfile sa doudousonne, une paire de basket et disparait dans la nuit à la poursuite de la procession.

Il ne lui faut pas énormément de temps pour rejoindre la foule formée autour de celle qu’elle avait bien supposé être Aniline. La jeune femme a troqué ses vêtements civils contre des habits plus cérémonieux, digne des prières ancestrales consignées dans certains livres. Les deux étudiantes ont déjà eu l’occasion d’échanger sur le sujet, la Nymphali ne s’étant jamais cachée de ses croyances ainsi que sa fascination pour le mystique, mais la blonde ne la voyait pas aller jusque-là.

Dans la foule, Ranya assiste au discours de celle qu’elle considérait pratiquement comme une amie à force de se côtoyer. Animant la foule avec prestance, Aniline s’équipe d’un petit sac duquel elle laisse échapper des poudres. Elles ressemblent de loin à ce que l’on utilise pour les spectacles de pyrotechnie, mais l’archéologue ne peut pas parier avec certitude qu’il s’agisse exactement de la même chose. Toujours est-il que grâce à cet artifice, la Nymphali parvient à former dans la fumée la silhouette parfaitement distincte d’un Rayquaza, fondant sur la foule pour disparaitre presque aussi rapidement. A quoi rime ce spectacle ?

Et si les mots d’Aniline trouve un certain echo chez Ranya, la mise en scène a vite fait de la mettre mal à l’aise. Bien sûr qu’elle aussi déplore la perte de croyance chez les individus, vénérant de moins en moins les légendes de ce monde. Mais les Légendaires sont altruistes, ils n’ont pas besoin d’une telle mise en scène pour convaincre, et Aniline devrait le savoir. Alors pourquoi ? A quoi rime ce spectacle à base de cristaux ? Et surtout, qu’est-ce que ce pokemon ?

Comme appelé par le chant qu’ont entoné les plus fidèles suivants d’Aniline, qui se révèle comme le pseudo leader d’un coven jusque-là inconnu, un pokemon surgit de la pénombre. Un Feuforêve. Enorme. Ou peut-être pas. En y regardant de plus près, il n’est pas exactement pareil que Fàfnir avant d’évoluer. Et sa spectre lui confirme, ils ne sont pas de la même espèce. Un coup d’œil rapide sur son Ipok le confirme. Ce pokemon n’est pas d’une espèce parfaitement déterminée. Le pokedex la renvoie seulement à une série d’article récent, arrivé avec la découverte de Paldea.

— Par Arceus Aniline a quoi tu joues ?

Ranya aurait pu pousser sa réaction plus loin si son attention n’avait pas été capté par l’arrivée fulgurante d’une Roucarnage qu’elle reconnait. C’est celle de Georges. Et son agitation ne peut signifier qu’une chose. Le croyant a besoin d’aide, et il ne faut que quelques secondes à la scientifique pour comprendre ce qui est certainement arrivé. Sans hésiter, elle grimpe sur le dos de la type vol qui la mène tout droit à son dresseur.

Georges n’a vraiment pas l’air bien. La vue de ce pokemon spectre comme sorti d’une autre dimension a du le paralyser. Ses propres pokemons sont complètement démunis, obligeant la Givrali a prendre la relève. Assise devant le blanc, elle lui attrape les épaules et essaie de le maintenir conscient.

— Hey Georges c’est moi Ranya ! Je sais que tu as peur mais je suis avec toi, il ne va rien t’arriver. La corruption ne t’atteindra pas. Essaie de respirer plus doucement.

Pas sure d’être parfaitement efficace, surtout que sa propre spectre est près d’elle, quoi qu’elle ait pris quelques distances, connaissant la phobie non maitrisée du croyant. Elle sent que le garçon va perdre connaissance. Raaah mais quelle galère.

Heureusement, Fàfnir lui indique d’un signe la présence de quelqu’un qui devrait réussir à les aider.

— Hey Kasai ramène toi j’ai besoin d’aide !

Le coach face à l’appel de Ranya la rejoint immédiatement, constatant par la même occasion l’état de son colocataire. L’archéologue n’a jamais trop su comment ces deux-là pouvaient vivre ensemble connaissant toutes leurs différences. Qu’importe, elle sait que Georges compte même un peu pour Kasai, et elle a besoin de son appui là tout de suite.

— Aide-moi à le ramener dans votre chambre. On va éviter de le faire voler ça vaut mieux. Tiens-le par une épaule et moi par l’autre. Et ensuite, toi et moi on debrief de ça. Parce que t’as surement tout entendu toi aussi.

Dans quoi s’embarquent-ils encore ?

Pourquoi n’est-il tout simplement pas resté sagement dans sa chambre ce soir-là ?

Pourquoi, à l’instar des autres soirs, n’a-t-il pas simplement pris du temps pour lui, à papouiller Doudou dans son coussin, allongé sur son lit, tout en réfléchissant à ce qu’il avait pu faire dans sa journée ?

Pourquoi n’a-t-il pas fait simple ?

Parce que la Pokemon Community l’a changé. Et que comme tout ses petits camarades, il est attiré tel un papillon de nuit par la lumière, vers tout ce qui n’est pas habituel.

Il fallait vraiment être aveugle et sourd pour ne pas comprendre que ce soir-là, il se tramait quelque chose d’anormal. Malgré l’heure avancée de la soirée, il régnait toujours une agitation particulière dans les couloirs. Des murmures aux véritables discussions devant les portes, même le gitan qui pourtant n’a pas pour habitude de laisser ses oreilles trainés, se retrouvait comme imposé dans les discussions. Il ne comprend pas de phrases complètes, mais les brides qui passent la porte de son espace privé suffisent à provoquer chez lui du mouvement.

Sans bouger Doudou pour le moment, le garçon se penche simplement à sa fenêtre, constatant que l’agitation n’est pas localisée uniquement dans son dortoir. Beaucoup plus de lumière qu’habituellement sont allumés dans les autres résidences, et à l’extérieur, même s’il n’en distingue pas parfaitement les contours, il remarque tout de même se déplacer vers le Parc, torche à la main. Et même s’il ne se tient pas toujours parfaitement au courant des événements au sein de l’académie, il est à peu près sûr que celui-ci n’était pas programmé. Sinon les autres de la bande lui en auraient touché un mot.

Les premiers jours de son arrivée ici, il aurait simplement ignoré la présence de ces personnes et continué sa soirée comme bon lui semble. Mais maintenant, depuis plus d’un an en fait, tout est différent. Cet attrait pour l’étrange, pour ce qui sort du quotidien, n’a fait que se renforcer avec le temps. Tantôt par curiosité, mais surtout dans le cas d’Itzan par peur que quelque chose ne tourne mal, le bleu se retrouve très souvent poussé à aller observer par lui-même.

Une décision qu’il regrettera sans aucun doute.

Installant confortablement Doudou dans sa capuche, le garçon s’équipe de quelques vêtements chauds puis quitte sa chambre, suivant les autres curieux à la recherche d’une explication à toute cette agitation.

Et si le gitan avait davantage réfléchi, analysé les indices comme le souhaite sa filière, et pris le temps de se poser quelques minutes de plus avant de se lancer, il aurait compris l’origine de tout ceci. Il aurait compris qu’il n’y avait qu’une seule personne capable d’une telle mise en scène.

Aniline. Encore.

Le gitan se sent instinctivement sérer les dents. Sa dernière altercation avec elle s’est particulièrement mal passé. Il lui a fallu plusieurs nuits pour enterrer profondément ce que le contact avec ces pierres lui a fait voir. Une vision qu’il ne souhaite plus imposer à son esprit fragile, en tout cas sur ces sujets-là.

Mais il est trop tard pour fuir, et la curiosité trop grande, le voilà happé par le discours de son aîné. Un discours dont il ne saisit pas vraiment les contours. Elle parle de croyance. Des croyances qui ne sont pas les siennes, reposant davantage sur les pokemons dit légendaires que sur la puissance des esprits naturels. A l’aide d’un produit inconnu, elle simule la présence d’un pokemon particulièrement imposant qu’il ne connait pas, et qu’il n’a pas le temps d’identifier grâce à son Ipok. Elle se dit messagère de grandes choses. De valeurs oubliées avec le temps. Elle parle de Coven Chowa, et de missions léguées par ses ancêtres, et chante à l’aide d’autres personnes dans une langue inconnue.

En fait tout ça, Itzan ne le comprend pas bien. Et sans lui laisser davantage de temps pour y réfléchir, son cœur loupe un battement avant même s’il ne voit l’origine du phénomène sur son corps. Comme s’il avait senti sa présence avant de la voir, un pokemon s’avance au côté d’Aniline. Un pokemon qu’il sait tout de suite, sans trop savoir comment, spécial. Un pokemon qui n’a rien à faire là. Et surtout, un pokemon qui exerce sur lui une très forte attraction.

Il ne le voit pas bien à cause de la foule. Il n’en discerne que vaguement la forme imposante, flottante aux côtés de la Nymphali. Attiré de manière inexplicable par cette présence, le gitan commence à se frayer un chemin dans la foule. Passant un à un les curieux, il parvient à s’engouffrer pour se créer un passage, arrivant finalement juste devant la créature.

Aniline l’a appelé Flotte-Mèche.

Mais face à lui, un seul nom vient au gitan.

— Esprit Nocturne…

Il l’avait murmuré si bas, et pourtant Aniline semble l’avoir parfaitement entendu. Souriante, elle invite le garçon d’un geste de la main à s’approcher encore un peu plus près, le poussant à tendre la main vers cette créature qui fait raisonner tout son être avec une force hors du commun. Son esprit lui hurle de ne pas s’approcher, de déguerpir à toute jambe. Mais son corps semble complètement hypnotisé par cette présence qu’il n’explique pas.

Et ce n’est que lorsque ses doigts frôlent le corps spectral de la créature qu’une nouvelle vision s’impose à son esprit.

Cela ne dure qu’un très court instant. Mais à nouveau, il distingue ces formes noires. Ces quelques yeux brillants. Les mêmes que ceux de la créature juste devant lui. Toutes ces choses qui raisonnent si fort dans son cœur.

Itzan parvient à miraculeusement retirer sa main, sa respiration s’emballant bien plus que de raison. Mais Aniline ne semble pas inquiète. Pire, elle se complait dans cette situation.

— Itzan, tu es naturellement attiré par nous. Ça ne sert à rien de nous fuir. Nous pourrions t’aider…

— Non…laisse-moi…je ne veux pas de ça…

Le gitan a de plus en plus de mal à se calmer, alors que le regard de ce pokemon est toujours braqué sur lui. Ses grands yeux colorés qui ne se détachent pas de son être lui imposent en boucle cette terrible vision. Celles d’esprits nocturnes prenant possession de lui.

Il n’est pas prêt pour ça.

Dans un élan soudain, le garçon parvient à reculer, puis à disparaitre dans la foule.

En proie à une grosse crise de panique, il parvient tout juste à se sortir de la masse, s’éloignant du mieux que ses jambes parviennent à le porter, jusqu’à finalement s’échouer au pied du Dolmen, dans l’ombre de ce qu’il se passe dans le parc. Recroquevillé contre lui-même, la respiration sifflante, il ne parvient pas à s’oxygéner correctement, son cerveau complètement paralysé par la panique. Il a beau essayer encore et encore de respirer, tant qu’il ne parvient pas à calmer les images qui bouclent dans sa tête, cela semble peine perdue.

Itzan est tellement ailleurs qu’il ne remarque même pas que Doudou, de sa propre initiative, a quitté sa capuche pour disparaitre dans la nuit, à la recherche d’une quelconque aide dont son ami à tant besoin.