« Les raisons de la colère »Son pied tape frénétiquement sur le sol.
Une certaine nervosité l’habite. Pourtant, Lysian, sa Korillon, se tient juste à ses côtés, et tente de l’apaiser à l’aide de son tintement mélodique. A priori, ce n’est que peu efficace. Ou au contraire, est-elle justement en train de canaliser Caroline, de sorte à ce que son agacement palpable soit réduit à une simple anxiété ?
C’est avachie dans le canapé de son appartement que la blonde fixe un poste de radio. Franchement, quelle idée de faire pareille annonce à cette heure-ci ? Un dimanche soir ! Alors qu’elle pourrait aller se mettre une mine en soirée, ou juste chiller devant Netflingouste ! Mais non, il a fallu que l’information sur la fermeture des écoles tombe ce soir là, histoire de bien paralyser toute possibilité d’activité détente.
Eh oui, même Caroline a des préoccupations. Autres que son boulot hautement éprouvant et ses problèmes relationnels, je veux dire.
Après tout, le sort de sa petite sœur ET de sa colocataire dépendent de cette annonce. Ce n’est pas rien. Et ça l’est d’autant moins que pour une fois, Caroline n’a accès à aucun inside. Aucune preview, aucun teasing, rien. Qu’est-ce que les services secrets ont à faire d’une assemblée municipale somme toute banale ? Et dont le résultat sera annoncé dans l’heure, qui plus est. C’est si rageant ! N’est-ce pas supposé être son job, que de récolter des informations ? Ne pourrait-elle pas au moins avoir celle-ci en avance ? Histoire d’avoir une réponse définitive, et basta ? Bah non. Ça ne marche pas comme ça, visiblement !
Alors la voila, à ronger son frein, tout en écoutant tout ce qu’il y a d’inintéressant diffusé à l’heure actuelle. Sans rancune, la fratrie Ournaliste, hein, mais dans l’immédiat, elle n’a vraiment pas grand-chose à foutre de votre micro-trottoir sur la coiffe de Couafarel préférée de l’île.
Enfin. Heureusement, cette torture finit par prendre fin, et un message est diffusé. Blabla, indécision générale, blabla, difficulté de trancher, blabla…. On s’en fout ! Le résultat ! Caroline veut le résultat ! Elle est tant à cran qu’elle a fini par se redresser, debout devant son poste de radio. Les poings serrés, elle la fixe avec intensité, comme si elle pouvait lui faire cracher le morceau plus vite à l’aide de son regard oppresseur. Hélas, c’est une tentative d’intimidation qui fonctionne mieux sur les espions Kalosiens, et elle aura besoin de patienter quelques secondes supplémentaires pour…
Ça y est. Ils évoquent la décision de la mairie.
« -… »Elle cligne des yeux, dubitative.
« -… Pardon ? »A-t-elle bien entendu ?
Une fusion des deux écoles ? Voilà qui est… Inattendu. Et… Troublant. Et…
… Est-ce qu’au moins c’est censé être une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
On ne va pas se mentir, l’espionne ne sait pas trop quoi penser de cette décision. Elle avait promis à Lissa que l’école ne fermerait pas, et à priori… Eh bien, c’est qu’à moitié le cas ? Donc, euh… C’est gagné ? Ou…. Pas du tout ?
Elle va pouvoir s’en faire une idée un peu plus précise grâce aux détails qui suivent. Il va y avoir un écrémage parmi les élèves et le personnel des deux établissements pour permettre la fusion… Le reste sera muté ou renvoyé.
En l’entendant, son sang ne fait qu’un tour. Les yeux de Caroline s’écarquillent tandis qu’elle prend conscience de ce que cela implique. Non seulement sa colocataire risque de se retrouver au chômage… Mais Lissa, qu’elle a traîné jusque dans cet établissement et dont la scolarité a été financée grâce à son travail, devra potentiellement fermer bagage ?
« -Vous… Vous foutez de ma gueule ? » De ses deux mains, elle agrippe le poste de radio. Elle lui hurle dessus, tout en sachant pertinemment que ses paroles ne seront pas transmises de l’autre côté.
« -C’est vraiment CA, votre solution ? On en garde la moitié et on bazarde le reste ?! Vraiment ?! » Ô surprise, la voix monocorde qui diffuse l’annonce paraît insensible à ses propos. Cela suffit à faire sortir Caroline de ses gonds, qui, par pure rage, balance la radio au sol.
« -PUTAIN, MAIS ALLEZ VOUS FAIRE VOIR ! » Un bruit aussi audible que distinctif résonne dans l’appartement. Elle aurait pu se contenter de presser le bouton off pour l’éteindre, mais vraisemblablement, l’exposer par terre était une option plus intéressante.
Le silence aurait pu s’abattre, mais quelques coups viennent résonner contre la paroi du salon. Ce son, Caroline le reconnaît bien : les voisins réclament un peu plus de calme de la part de leur voisine exubérante.
Comme à son habitude, la blonde joue le jeu et s’excuse platement.
« -OH LA FERME ! » Elle se fige alors. Que… Que vient-elle de dire ?
L’aînée des Labelvi est du genre indélicate, on le sait – mais pas invivable pour autant. Systématiquement, elle a baissé le ton après une manifestation de ses voisins ; non sans parfois lâcher un râle exaspéré, certes, mais toujours en respectant leur volonté de calme. Là… C’est la toute première fois qu’elle redirige vers eux sa colère.
Un peu prise de court, elle passe une main sur son front et se laisse de nouveau choir sur le canapé. Ok. Peut-être bien qu’elle se laisse un peu emporter par la nouvelle. Celle-ci semble certes injuste, mais elle n’assure en rien le renvoi de sa coloc et de sa sœur, pas vrai ? Et puis… Les critères de détermination semblent encore un peu vagues. Peut-être que Caroline… Ou même Ilea… Peuvent jouer de leur influence ? D’autant que Thésée est aussi concerné. Les deux amies ne pourront pas rester bras croisés, quelle que soit la décision du rectorat.
A nouveau, Lysian tente de l’apaiser, et cette fois-ci, cela paraît bien plus efficace. Sa colère extériorisée et sa réponse obtenue, Caroline peut à peu près souffler. Ou à défaut, éviter de propager son anxiété. Et ça, Ilea en aura bien besoin.
Son regard descend jusqu’à ses pieds, où choit le cadavre du poste de radio. Elle va probablement devoir s’occuper de ça, avant toute chose. Et aller s’excuser auprès des voisins, aussi…
***
Les idées remises en place, Caroline se tient prête à accueillir Ilea. Elle ne lui a envoyé aucun texto depuis l’annonce, s’attendant à en recevoir un de sa part, mais rien. Si elle tarde à revenir, peut-être bien que l’espionne va être contrainte de partir à sa recherche…
Fort heureusement, ce ne sera pas nécessaire. Mais moins heureusement, ce n’est pas pour autant que l’état de sa colocataire s’avère bien engageant.
La rouquine débarque en larme dans l’appartement, et s’effondre sur le canapé avant même que Caroline ne puisse placer un mot. Dans la précipitation, elle la prend dans ses bras et la laisse enfouir son visage dans le creux de son épaule. Un flot de parole continue s’échappe de sa bouche, auquel elle est peu habituée. En général, c’est elle, la bavarde du duo… Pour autant, la blonde encaisse le débit, et tente de la calmer aussitôt qu’elle en a terminé avec ses tourments.
« -Princesse ! Rien n’est joué encore. Personne n’est renvoyé, en l’état, pas vrai ? Alors calme-toi. Respire un bon coup. Et laisse aller. L’annonce doit te faire un choc, c’est normal que tu te sentes dépassée… Mais n’oublie pas : rien n’a encore été décidé, ok ? » C’est à moitié vrai. Voire, au trois quart faux. La décision de ne garder que 50 % du personnel a bel et bien été prise, et peut-être même que les heureux élus ont d’ors et déjà été choisis – en fait, Caroline n’a aucun moyen de savoir si tout est déjà joué ou non. Mais sa seule préoccupation immédiate est de réconforter sa colocataire, et pour ça, elle ne compte pas se laisser abattre.
Passées quelques dizaines de secondes à la laisser évacuer ses larmes, elle lui attrape le bras.
« -Allez, lève-toi. On va boire un coup. » elle l’aide (l’oblige ?) à se lever, avant d’ajouter :
« Je t’invite. On pourra commencer à parler d’un plan d’attaque, si tu veux. » son ton mi-sérieux mi-taquin laisse place à une certaine réflexion
« ‘Faut aussi qu’on cause de nos vacances. J’ai vu un hôtel qu’avait l’air pas mal, à proximité d’une oasis… Enfin. On peut aussi juste se saouler : c’est comme tu veux, ma belle ! » Des interrogations, Caroline en a des tonnes. Il va également falloir qu’elle s’occupe de sa petite sœur, probablement dans un état tout aussi déplorable qu’Ilea (si ce n’est pire). Mais dans l’immédiat, elle va faire ce qu’elle sait faire de mieux : éluder ses problèmes. Quitte à utiliser de l’alcool pour cela.