Parmi le groupe d'étudiants globalement peu enthousiastes, le Voltali arborait un sourire rayonnant. Ce qui — quiconque l'ayant un tant soit peu fréquenté vous le confirmera — avait tendance à contraster avec son minois d'ordinaire si sévère. Il fallait dire que, ce matin, Ariel se sentait tout à fait à sa place. La perspective d'avoir cours en la présence du fantastique Andreas Heartnett suffisait déjà à le combler d'impatience : la moindre entrée du Coordinateur lui mettait des étoiles dans les yeux. Ses tenues, son sens du spectacle, étaient autant de laçons à apprendre et de merveilles à découvrir. Dans ce nouvel univers globalement peu reluisant, Ariel avait été agréablement surprise de trouver une idole pareille, et il comptait bien en profiter au maximum et marcher dans les pas de son émérite professeur. D'autant plus que ce matin, il n'était pas spécifiquement question de coordination pokémon. Mais d'Art. D'Art, dans son essence, dans ses formes les plus vastes, d'Art de vivre et de percevoir le monde, d'Art d'exprimer et de s'imprégner d'une vision.
Ariel vibrait pour l'Art.
Rien, aujourd'hui, ne saurait coller une moue sur son délicat visage. Le désordre et le chaos n'étaient que l'expression d'individualités riches. Les commentaires maussades venaient de pauvres hères qui avaient encore tout le loisir de s'éveiller à la beauté des choses.
Assis à l'une des tables rondes, Ariel buvait les paroles de l'enseignant. Seule ombre qui vient se pencher sur sa radieuse matinée : la peinture. Malgré son amour pour l'expression artistique dans son essence, l'adolescent devait avouer avoir des goûts plutôt marqués, pour ne pas dire étriqués, au sujet de sa forme. Fine bouche, les arts visuels statiques et sans relief peinent à l'émouvoir. L'écriture, le dessin et la peinture l'ennuient. Mais à choisir la peinture restait probablement le plus permissif des trois. Et il n'était pas de contraintes qu'un artiste créatif ne saurait subvertir.
Planté devant sa toile, Ariel entreprit d'estimer la mesure dans laquelle il pouvait se permettre de se jouer des règles qui lui étaient énoncées. Celles-ci étaient pour le moins claires : la toile doit servir de support, de la peinture doit être utilisée, l'oeuvre doit être colorée, et le sujet doit traiter du renouveau et prendre pour sujet un pokémon. Si l'intitulé pouvait sembler précis, il laissait en vérité de nombreuses marges de manoeuvre, constata l'étudiant avec un sourire.
Après avoir récupéré du matériel divers, Ariel se met à l'oeuvre. Sa toile blanche se retrouve rapidement recouverte d'un bleu-violet assez sombre, qu'il estompe grossièrement au centre pour en éclaircir la teinte et diriger l'oeil du spectateur vers le sujet de la scène. Il froisse et déchire des mouchoirs en papiers et bouts de coton qu'il éponge grossièrement dans de la peinture sombre. A l'aide d'un peu de colle, il forme une silhouette grossière allongée au sol. Celle-ci est difficilement identifiable, plongée dans la pénombre, et ruinée. Dans cette même matière de coton et de tissu souillés, mais cette fois-ci teintés d'un violet vif nettement plus clair que le reste de la toile, Ariel forme une autre silhouette, dressée sur la première, en plein centre de la toile. Au pinceau, il redessine un peu sur sa sculpture de fortune, tente d'en dessiner les traits simplifiés de son Plumeline. Quelques rappels de couleur sur la silhouette au sol — des cheveux bleu-violet — finissent de dresser un lien entre les deux formes. De la peinture jaune et des paillettes viennent ajouter un éclairage qui tombe au centre de la scène. Quand à la touche finale, elle prend la forme de bandelettes blanches déchirées dans un mouchoir en papier qu'il colle au sommet de la toile, de part et d'autre de son sujet, pour évoquer un rideau qui s'ouvre pour dévoiler la scène.
Une heure et demi plus tard, le garçon contemple son oeuvre en la secouant un peu, satisfait du relief et du mouvement apportés à la peinture par ses différents collages. Il rédige à la hâte un petit texte explicatif pour accompagner le tout, bien que cela lui semble superflu. Une âme avec la sensibilité artistique de Monsieur Heartnett saura sans nul doute déchiffrer toute la profondeur de sa superbe composition !