Ça fait vraiment bizarre.
En temps normal, j'devrais être super contente : l'académie arrête de nous traiter comme des gamines et nous permet enfin d'intégrer la même classe que Itzan et Ashe. Pour la première fois, le Club des 5 va pouvoir se réunir autour des mêmes bureaux et mettre le bazar dans un même cours tous ensemble.
Mais ça sera sans doute pour une prochaine fois...s'il y en a une. Depuis ce matin, j'ai l'impression d'être...disapparente ? Ou dissociée, je sais pas quel est le mot. J'ai même eu besoin de l'aide de Prime et des autres juste pour m'habiller, avant de laisser glisser mes roues dans la salle de classe. Même la tentative de Magnolia de me parler s'est soldée par un hochement de tête de ma part, avant de lui laisser un peu d'avance.
En arrivant devant la porte de la classe, je constate que la plupart des gens sont déjà installés...les autres inclus. Itzan a déjà pris place à coté de Magnolia et de leurs cotés, on dirait que Rookie a décidé de s'asseoir avec Agatha. Prime est déjà tenté de se précipiter vers le bureau de la Pyroli, dans l'espoir qu'un coup de corne bien placé fasse choir Apsu, mais je le retiens, sans même le regarder.
Une chaise est encore libre, pile derrière Ashe : de cette façon, je ne serais pas trop éloigné du petit groupe et les opportunités d'enquiquiner le Noctali seront nombreuses.
*Criss*
Mes roues pivotent...et sous le regard perplexe de Prime, je rejoins le fond de la pièce où un bureau solitaire semble m'appeler, avant que le type Combat n'en dégage la chaise pour me laisser le passage. Isolée dans mon coin, les regards et remarques habituels lorsque je m'installe se font bien plus discrètes avant le début du cours.
''Est-ce que vous avez déjà eu l’occasion d’enterrer un de vos proches ?''
La question du professeur Amité aura au moins eu le mérite de me faire sortir de l'espèce de transe bizarre qui m'étreint depuis ce matin. En revanche, même si je commence à griffonner par réflexe, mes yeux effectuent un va et vient de plus en plus mécanique entre le tableau et ma feuille. Y'a plein de mots que je ne comprends pas. Magnolia est trop loin pour m'aider et je ne pense pas que j'arriverai à lui poser la question, de toute façon...
Car alors qu'il enchaine une présentation qu'en temps normal, j'aurais probablement dévorée , la sensation bizarre continue de s'amplifier : ma main appuie de plus en plus sur mon crayon, avant que je ne prenne conscience que les mêmes mots s'inscrivent sur ma feuille. Secouant la tête un peu paniqué, je masque rapidement cette dernières, en espérant échapper aux boucles tracées.
Seule, seule, seule.
''Hmmpf...''
''Psst...Sidhe, ça va ?''
Je reconnais pas la voix. On dirait celle d'une autre Mentali, mais elle a l'air sincèrement inquiète. Inspirant profondément, je lui fais signe que tout va bien, le regard dur, avant, d'essayer de me refocaliser sur le cours. Pourtant, même si le thème ne m'a jamais choqué, les paroles du professeur Amité continue de résonner.
Je n'ai jamais...eu l'occasion d'assister à un enterrement. Maman disait qu'elle n'avait plus de famille proche et que ce n'était de toute manière ''pas fait pour moi''. Je sais pas ce que ça fait. Je sais même pas pourquoi j'y pense...Mais plus j'y réfléchis, plus je me demande si quelqu'un viendrait au mien.
Qui serait assez bête pour s'y intéresser ?
Surtout que ça ne doit pas être si différent...Enterré entre quatre murs de bois. Sans qu'on vous laisse sortir. Tout seul. Sans lumière...non, pas sans lumière. Ça, je pourrais pas. Il faudra vraiment que je demande à Prime d'être sûr qu'on y laisse une petite lampe. Même tout petite, juste pour moi.
Je suis presque heureuse lorsque le polycopié arrive jusqu'au fond de la salle. La diversion offerte me pousse à plonger sur la feuille, en évitant de croiser le regard d'Agatha, qui s'est retourné dans ma direction.
Devoir Lyria :
Si je me base sur votre cours, ainsi que sur les informations que vous avez donné, on pourrait dire que les structures érigées en tant que tours servent à...
Vous savez quoi ? Je vais vous donnez ma véritable hypothèse sur la raison pour laquelle les vivants construisent des tours, pour ''honorer'' leurs défunts.
C'est parce qu'ils en ont peur. Parce qu'ainsi, il est bien plus facile de les oublier et de les tenir à l'écart. Parce que ça permet de les enfermer, tout en gardant bonne conscience.
Réfléchissons : quelles sont les caractéristiques d'une tour ? Un lieu de grande taille, souvent isolée ou mis à l'écart du reste des bâtiments pour éviter qu'elle ne provoque des dégâts en cas d'effondrements et surtout...qui n'est pourvu que d'une SEULE entrée.
Ainsi, quoi qu'il arrive, rien ne peut sortir de la tour sans que l'extérieur ne soit au courant. Et y entrer de son vivant est forcément un acte volontaire. Quand à sa hauteur, elle permet d'éloigner de plus en plus les défunts des vivants. Un bâtiment au niveau du sol finirait forcément par s'étendre dans toutes les directions, jusqu'à arriver aux abords d'autres habitations.
En revanche, pour le défunt, c'est une PRISON. Des murs de pierres qui le maintiennent dans l'ombre en permanence, loin des yeux et du coeur de ceux qui l'y ont déposés. Vous ne me croyez pas ? Alors pourquoi les types Spectres qui peuvent franchir les murs, resteraient-ils à l'intérieur, s'ils n'en étaient pas prisonnier ?
Tout le monde dit qu'on crée ces lieux pour honorer les morts ou pour des raisons spirituelles qui les rapprochent des cieux. Mais si on les aimait vraiment, on les garderait près de nous, pour ne pas les oublier, plutôt que de les laisser croupir dans les ténèbres jusqu'à ce qu'ils disparaissent totalement.
On ne les enfermerait pas sans leur demander leur avis dans des tours froides et glacées, desquelles ils n'ont aucun espoir de sortir un jour !
*clac* Mon stylo cogne sur la table, moins de quinze minute après le rendu. J'ai probablement jamais écrit aussi vite. Mon coeur bat la chamade lorsque j'avance rapidement vers le bureau du professeur Amité.
'' Schon? Vous ne voulez pas vous relire, mademoiselle Sidhe ?''
''N...non, c'est bon.''
Un nouveau tour de roue et me voila dans la couloir, suivi par un Prime au regard aussi inquiet que courroucé.
Après tout, je lui avais promis qu'on ne s'enfuirai jamais, quelque soit la situation...